C’est une histoire formidable, qui outre ses qualités graphiques très au-dessus de la moyenne (dépassées à mon avis uniquement par Un été indien de Pratt et Manara), réveille en moi des résonnances fortes puisque elle est inspirée de toute évidence de l’assassinat de Kennedy, cet événement pré-historique pour moi (puisqu’ayant eu lieu trois ans avant ma naissance) mais autour duquel je ne cesse de tourner [1], comme un mystère irrésolu et fascinant.
Angel Face est d’autant plus remarquable que Charlier et Giraud (mais à mon avis Giraud a pris le dessus sur son scénariste) se sont débarassés de toutes les béquilles narratives habituelles : les Indiens, l’institution militaire, le saloon, la prison et les faire-valoir de service (Mc Clure et Red Neck). Tout cela s’est évaporé afin que le récit se concentre sur la petite ville de Durango, qui va devenir pendant quelques heures un véritable coupe-gorge, une souricière dans laquelle Blueberry est traqué et joue le rôle du bouc émissaire. Déguisé d’abord en pompier puis en soldat, il va déjouer la traque dont il est la victime et par deux fois, va dévier le tir du sniper d’élite sur le président Grant.
Les parallèles avec l’attentat de Dallas du 22 novembre 1963 sont tellement nombreux qu’il serait fastidieux de les énumérer, mais le miracle, c’est qu’ils s’emboîtent parfaitement dans une histoire western classique (enfin, pas tant que ça quand même). Beaucoup moins bavard que les épisodes précédents (et j’en sais quelque chose pour les avoirs lus à haute voix !), le récit devient même muet dans les deux des trois dernières pages, un peu comme un album de Corto Maltese.
L’histoire s’achève en une sorte de boucle sur le visage d’Angel, sauf qu’à la fin il est défiguré par le feu : d’ange, il est devenu démon, brûlé par son passage en enfer. C’est désormais Devil Face. Pendant ce temps, Blueberry a disparu, probablement mort, puisque l’album suivant s’intitulera... la Jeunesse de Blueberry et ressemblera fort à une épitaphe.