UN CHANGEMENT RADICAL DE PERSPECTIVE
Qui est Custer ? Un piètre officier, qui lance des offensives sans même s’assurer du nombre d’adversaires en face (il le paiera cher à Little bighorn), sorti dernier de sa promotion à West Point, suspendu un an pour avoir abandonné son poste après avoir fait fusiller des déserteurs. Détesté par ses hommes, qui le surnomment « Bouclettes ». Un excentrique imbu de lui-même, dont un officier disait qu’il ressemblait « à un écuyer de cirque devenu fou ».
C’est pourtant lui qui va tester, à la demande du général Shéridan, le principe de la campagne d’hiver. En clair, l’attaque de villages indiens au moment où il fait le plus froid et où ces derniers sont limités dans leurs mouvements par la neige. La bataille de la Washita River, en novembre 1868, fit 103 morts parmi les Cheyennes, dont 92 femmes et enfants [1]. Ce n’était qu’un début.
Le 23 janvier 1870, les hommes du général Baker attaquent un campement de Pikunis près de la Marias River. 173 morts, dont 15 guerriers seulement. Le reste, enfants, femmes et vieillards. Tout est en place pour une réplique indienne de grande envergure. Elle viendra le 25 juin 1876, sur les bords de la Little bighorn. La plus grande victoire indienne de tous les temps. La dernière, aussi, d’un conflit terrifiant qui s’achèvera, en 1890, à Wounded Knee.
La clé du récit de James Welch, c’est sans doute dans les dernières pages du chapitre 4 qu’on la trouve. Décrivant, cent ans plus tard, le site de la bataille (désormais traversé par une autoroute et bordé de propriétés privées), il le montre du point de vue des soldats de Custer. Puis il dit ceci : « peut-être est-ce une question de perspective ». Et le voilà qui nous fait descendre la colline et nous place là où se trouvait l’immense regroupement indien, sur les bords verdoyants de la Little bighorn. Ce changement de perspective est autant visuel que symbolique. Welch nous dit, maintenant, mettez-vous à la place de ces Indiens, essayez de comprendre comment ils vivaient, ce qu’étaient leurs rêves, leur vision du monde, leur attachement à ce territoire.
C’est ce pas de côté, ajouté à la rigueur du récit, qui rend le travail de James Wech si important. Ce changement de perspective que l’on retrouve d’ailleurs dans les très grands livres d’histoire, que ce soit celui de Prosper-Olivier Lissagaray [2], d’Howard Zinn [3] ou plus récemment de Robert Fisk [4].
Le récit de la bataille proprement dite est bref, relativement sec, sans envolées lyriques ni dimension mythique. Il occupe 45 pages à peine, pour décrire ce qui s’est passé ce jour là, 25 juin 1876, entre midi et 17h25, dont trente-cinq minutes de combat acharné. Mais ce qu’il raconte est édifiant : soldats terrorisés tirant en l’air, se tirant mutuellement dessus, désordre total, poussière envahissante, dépouillement des cadavres. Le chaos absolu, guère différent de celui d’autres champs de bataille à Verdun, en Normandie, au Vietnam ou en Irak.
C’est un beau jour pour mourir s’achève, de façon déchirante, par la reddition progressive des Sioux et des Cheyennes quelques mois après la bataille de la Little bighorn. Et par l’assassinat sordide [5] dans les réserves des deux grandes figures de la rebellion, Crazy Horse en septembre 1877 et Sitting Bull en décembre 1890, quelques jours avant Wounded Knee qui marquera la fin des guerres indiennes.