Atomic Park

Jean-Philippe Desbordes - éditions actes sud

C’est un livre qui fait froid dans le dos. En optant pour l’arme nucléaire dans les années cinquante puis le nucléaire civil avec EDF, la France a sacrifié délibérément des centaines de vies, des soldats manœuvrant près des pas de tir dans le Sahara aux sous-traitants des centrales contemporaines. Sans parler de la dérive libérale d’EDF qui hypothèque gravement la sécurité des installations.

BIENVENUE AU VINGTIÈME SIÈCLE

Dans le désert du Nevada, des soldats américains manœuvrent tout près du pas de tir où, quelques minutes plus tôt vient d’exploser une terrifiante bombe atomique. Nous sommes le 5 mai 1955, au cœur de la guerre froide. 2700 hommes dans des camions, des chars, des avions et des hélicoptères vont être ainsi délibérément sacrifiés. Objectif : les familiariser avec l’ambiance d’une explosion nucléaire.

Ce n’est pas chez nous qu’on verrait des choses pareilles, bien entendu. Pas chez nous, non, mais pas loin. Au début des années soixante, en pleine guerre d’Algérie, le sud du Sahara a servi de terrain d’expérimentation pour la bombe française voulue par le général de Gaulle. Et le 1er mai 1962, l’explosion de la bombe Beryl a plutôt mal tourné : la cavité creusée dans la montagne s’est ouverte sous la violence de la déflagration, libérant un nuage noir chargé de substances radioactives, entre autres du plutonium. Les politiques et les gradés, venus assister au spectacle, décampent pendant que les soldats, livrés à eux-mêmes, voient le nuage passer au-dessus de leur tête.

Des anecdotes glaçantes de ce genre, Atomic Park en est rempli. Ecrit par le journaliste Jean-Philippe Desbordes à partir de témoignages de première main (dont des veuves de militaires et de salariés d’EDF morts après avoir été irradiés), il raconte le sort de tous ceux, des soldats du Sahara aux Polynésiens de Mururoa en passant par les sous-traitants des centrales nucléaires, ont sacrifié leur santé et parfois leur vie pour l’indépendance énergétique et militaire de la France.

Comme si ce n’était pas suffisant, ils se heurtent à un mur, celui du lobby nucléaire qui va des politiques à l’armée en passant par les industriels de l’énergie, et ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits. On savait déjà que le nucléaire représenterait un coût financier et sanitaire démesuré à long terme, bien au-delà du mythe de l’énergie propre et bon marché. On savait déjà, au moins depuis la catastrophe de Tchernobyl, que les réacteurs nucléaires étaient une épée de Damoclès suspendue au-dessus des habitants. On découvre avec Atomic Park que pour en arriver là, il a fallu sacrifier délibérément des centaines de vies. Défendre le nucléaire après ça va s’apparenter à de la haute voltige.