Il a bien dû vous arriver déjà cette sensation étrange, au réveil, de ne plus savoir où vous êtes, en particulier si vous n’avez pas dormi chez vous. Normalement, en quelques secondes tout est rentré dans l’ordre. Mais si ce n’était pas le cas ? Imaginez qu’en vous réveillant le matin, vous ne savez plus où vous êtes, ni qui vous êtes, ni quelle est la personne qui dort juste à côté… Bienvenue dans l’imaginaire de SJ Watson.
Cet Anglais de 39 ans à la tête bizarre a frappé fort pour son tout premier roman, publié en France par Sonatine. Avant d’aller dormir est en effet un bijou de littérature psychotique, celle qui vous embarque dans des scénarios emboîtés les uns dans les autres à tel point que vous doutez, à un moment donné de votre lecture, qu’il existe une porte de sortie.
Ne comptez bien sûr pas sur moi pour entrer dans le détail de l’histoire, sinon pour vous donner l’argument de départ : Christine Lucas se réveille le matin en croyant qu’elle a vingt ans de moins, et elle ne reconnaît ni la chambre où elle a dormi — pourtant dans sa propre maison — ni l’homme qui dort à ses côtés — son mari depuis 24 ans. Chaque journée est une lutte épuisante pour reconstituer des bribes de son passé et de comprendre ce qui lui est arrivé. Et chaque soir, tout s’efface dans sa mémoire mutilée.
Pour sortir de ce voyage quotidien dans une page blanche, le docteur Nash propose quelque chose : Christine va écrire un journal dans lequel elle consigne ce qu’elle a découvert dans la journée. Mais sans en parler à Ben, son mari, qui ignore tout de cette thérapie. C’est ce journal qui va servir de boussole non pas dans l’espace mais dans le temps, et qui va sortir Christine de ce labyrinthe mortifère dans laquelle elle est enfermée.
Car quoi de plus facile que de mentir à quelqu’un qui ne se souvient plus de rien ? Très vite en effet, les souvenirs qui reviennent à Christine et ce que lui racontent Ben, son mari, le docteur Nash et son amie de jeunesse, Claire, ne coïncident pas. Soit quelqu’un ment (mais qui, et pourquoi ?), soit Christine invente littéralement ses souvenirs. Or on apprend qu’avant l’accident qui a provoqué son amnésie, elle était justement romancière…
On retrouve-là ce que Dennis Lehane avait tenté, avec moins de succès, dans Shutter Island : ce brouillage de la réalité, cet art suprême du romancier de raconter une histoire (fausse) à l’intérieur d’une autre (vraie) à l’intérieur-même d’une fiction, comme on pourrait concevoir un trompe l’œil intégré dans un décor de cinéma.
SJ Watson double ce tour de force en choisissant d’incarner une femme d’un peu moins de 50 ans (non, on n’a pas dit ménagère, laissons ce terme crétin aux publicitaires et aux instituts de sondage) avec un réalisme tout à fait étonnant. Rien que pour ça, Avant d’aller dormir vaut largement le détour. Mais sa construction en spirale refermée sur elle-même est également remarquable. On attend le deuxième roman avec impatience.