Marée noire sur la Norvège

Brut un roman de Dalibor Frioux - éditions Points Seuil

, par Bruno

Dans une Norvège futuriste et gavée de pétrole, les conséquences ravageuses de l’abondance, de la xénophobie et de la vertu protestantes. Un premier roman tonique et plus politique qu’il n’y parait.

<media1640|embed|right|class=shadow>Le personnage principal de Brut n’a pas de visage. Il est noir, il est visqueux, il pue et il est vieux de dizaines de millions d’années. Et pourtant, les xénophobes norvégiens l’aiment bien. Car il s’agit du pétrole, ce jus de cadavres découvert presque par hasard dans la mer du Nord, à l’extrême limite des eaux territoriales du Royaume, coup de chance, clin d’œil du hasard. Le gisemsent Ekofisk, par ses dimensions colossales, a transformé un pays minuscule (cinq millions d’habitants) et insignifiant en une sorte de Suisse scandinave, voire de Qatar avec des fjords.

Mais contrairement au Qatar, la Norvège est un pays protestant, longtemps peuplé de bûcherons et de pêcheurs. Et quand il s’agit de gérer la manne pétrolière, dont les ressources dépassent très largement les besoins locaux, le gouvernement décide de créer un fonds souverain chargé de gérer au mieux l’excédent de cash. En 2006, le Petroleum Fund devient le Government Petroleum Fund Global, à la tête d’une manne de 664 milliards de dollars, excusez du peu. Et investit dans des entreprises étrangères selon des critères éthiques.

C’est à partir de cette trame que Dalibor Frioux, jeune enseignant de philosophie, construit son roman qu’il situe au milieu du XXIème siècle. A cette époque, pénurie de pétrole oblige, la Norvège (qui a encore des réserves) est le pays le plus avancé au monde. Celui où tout le monde est beau, gentil, ouvert, soucieux de la préservation de l’environnement et solidaire avec le reste du monde. Sur lequel il déverse abondamment sa manne pétrolière qui risquerait de l’étouffer, et où il envoie ses riches retraités pour des vacances sans retour au bord de la Méditerranée, comme il envoyait deux siècles plus tôt ses pauvres à destination des jeunes Etats-Unis d’Amérique.

Venu dans la librairie gardannaise Aux Vents des Mots, Dalibor Frioux a raconté le point de départ de son roman : « J’avais lu un article dans le Monde qui présentait un professeur de philo qui avait à peu près mon âge et qui avait été recruté par la Banque de Norvège pour gérer le fonds éthique souverain. Ma question personnelle, à savoir que l’on peut très vite tomber dans le manque ou dans l’excès, et que le juste milieu n’arrive que par hasard, rejoignait ainsi celle d’un pays, la Norvège. Le pays de l’utopie réelle. Avec un drôle de personnage dans l’arrière-boutique, le pétrole. »

« Quand Anders Breivik a assassiné près de quatre-vingt personnes en juillet 2011 en Norvège, quelques semaines avant la sortie de mon roman, sa cible principale était l’ancienne dirigeante politique Gro Harlem Brundtland, qui représentait en quelque sorte l’image de la grand-mère de la Norvège, tout ce qu’il ne pouvait plus supporter. Actuellement, le chef du parti du progrès norvégien, en fait un parti fasciste, est une femme, l’équivalent de Marine Le Pen. Et ce parti est bien plus implanté que le FN en France. » Ce parti du progrès, le FrP, on le retrouve dans Brut, au moment où il accède seul au pouvoir.

Le roman de Dalibor Frioux, même si ce dernier s’en défend, est éminemment politique par son ton cinglant sur l’hypocrisie fondamentale d’une société norvégienne (mais qu’on peut extrapoler à la bourgeoisie allemande, par exemple) repue et qui considère le reste du monde comme un terrain de jeux, quitte à le clôturer pour ne pas y laisser rentrer les rats (ou les étrangers). Et pourtant... Quelle surprise quand l’auteur annonce qu’il a participé au think tank autoproclamé progressiste Terra Nova [1] ! Un think tank pas spécialement réputé pour l’audace de ses propositions globalement sociales-démocrates, et dont certains des membres sont aujourd’hui casés dans les ministères, à mener avec le succès qu’on connaît une politique de casse sociale.

« Il y a plusieurs courants dans Terra Nova, j’étais plutôt dans une tendance écologique et environnementale, pas dans le courant économique. A mon sens, on paie aujourd’hui le prix des trente glorieuses qui ont créé une richesse factice. Et rembourser ses dettes ne peut pas tenir lieu de projet politique. » On est bien d’accord.