Coronado Dennis Lehane - Rivages

, par Bruno

Alors que son huitième roman se fait attendre - Shutter Island date de 2003 - Dennis Lehane nous offre un recueil de cinq nouvelles et d’une pièce de théâtre qui donne son nom à l’ensemble : Coronado. Cette dernière, variante développée de la nouvelle Avant Gwen met en évidence le talent de dialoguiste du romancier bostonien.

L’AMÉRIQUE DES PROFONDEURS

Il y a du Stephen King dans ces nouvelles de Dennis Lehane. Du Russell Blanks aussi, voire du John Steinbeck. Délaissant le quartier irlandais de Boston et les intrigues urbaines, l’auteur de Mystic River décrit en cinq histoires courtes l’Amérique profonde, celle des vétérans du Vietnam hantés par les fantômes ou des repris de justice qui rentrent au village. On y croise des filles paumées, des abrutis qui font des cartons sur des chiens errants ou des ados désœuvrés qui mettent à sac des propriétés cossues.

Mais le style particulier de Lehane est toujours là, même sans ses personnages habituels (Angela Gennaro et Patrick Kenzie). Un style sec, dépouillé, rageur, qui fait la part belle aux seconds rôles, aux moins que rien qui se raccrochent à ce qu’ils peuvent.

La pépite de ce recueil, c’est la dernière nouvelle, Avant Gwen, et son adaptation pour le théâtre, Coronado. Douter de la capacité de Lehane d’écrire pour le théâtre, c’est oublier un peu vite quel remarquable dialoguiste il est. Les échanges Kenzie-Gennaro, dans les cinq romans qu’il leur a consacrés, faisaient preuve d’une inventivité et d’une verve de tous les instants.

En transformant Avant Gwen, une nouvelle de 25 pages très écrite où le narrateur tutoie le lecteur, en une pièce de théâtre d’une centaine de pages en deux actes et neuf personnages, il met à nu les ressorts de la création littéraire : ce que l’on garde quand on adapte un texte, ce que l’on écarte, et ce que l’on développe. L’intrigue, déjà forte et originale dans la nouvelle, gagne en densité et en profondeur en respectant l’unité de lieu mais en contournant l’unité de temps : les personnages se trouvent au même endroit, mais à des époques différentes. Lehane réussit ainsi un étonnant court-circuit temporel et familial qui relie le fils sorti de prison, la mère disparue et le père à la recherche d’un diamant volé. Voilà en tout cas de quoi patienter encore quelques mois...