UNE PREMIÈRE PIERRE SUR LE CHEMIN DE L’APRÈS-DÉVELOPPEMENT
Tout est parti d’un colloque, en mars 2002 au Palais de l’UNESCO, à Paris. L’intitulé pourrait paraître terriblement prétentieux, et en un sens, il l’est. Défaire le développement, refaire le monde a dû faire ricaner les uns, hurler les autres qui ne jurent que par la croissance. Laquelle, c’est bien connu, est génératrice de consommation, d’emploi, de bien-être universel et de caddies bien remplis. Mais ce colloque a eu lieu il y a quatre ans maintenant, et depuis, la critique radicale du développement n’a cessé de se répandre. Radicale, c’est-à-dire pas celle qui met en avant le développement durable et le commerce équitable pour justifier tout et n’importe quoi, mais celle qui remet en question le principe même du développement.
L’association la Ligne d’Horizon a organisé ce colloque et publié ce livre qui contient les contribution d’une trentaine d’auteurs venus du monde entier. Dans la première partie, intitulée, Mirages et ruines du développement, Ivan Illich reprend une citation de José Bové qui dit « ce qui était gratuit devient payant ». Serge Latouche démontre que le développement n’est pas le remède à la mondialisation, c’est le problème, alors que José Bové prend l’exemple de la Chine, « l’alliance d’un pouvoir autoritaire et de la libéralisation du marché à outrance » qui prépare, selon lui, « une véritable bombe à retardement ». C’était, rappelons-le, il y a quatre ans. François Brune, pour sa part, fait la peau avec talent au concept de développement durable [1] censé préserver la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Lesquels, on le sait très bien, sont en permanence renouvelés afin d’alimenter la sacro-sainte croissance.
Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche à l’INRA, montre dans un texte remarquable les conséquences meurtrières des choix technoscientifiques appliqués à l’agriculture, avec notamment l’historique des OGM. Or, dit-il, « l’évolution technoscientifique résulte de choix politiques ». Il est toujours possible de choisir entre l’autonomie et la dépendance, entre la coopération et la concurrence, entre la satisfaction des besoins et l’accumulation des profits. Frédéric Lemarchand, chercheur à Caen, parle lui de société épidémique qui prétend s’affranchir des limites de la matière (avec le nucléaire) et du vivant (avec la génétique), et qui ne débouche que sur l’effondrement des limites.
La deuxième partie est consacrée aux alternatives au développement. On y retrouve des témoignages de pratiques originales à Cochabamba (Bolivie), au Kazakhstan, à Dakar (Sénégal) ou à Buenos Aires (Argentine), preuve que les habitants des pays dits en voie de développement (et ceux victimes des plans d’ajustement structurels) ne nous ont pas attendu pour trouver des solutions. Mais si l’on devait retenir un texte, ce serait celui de Marie-Dominique Perrot, intitulé De la démesure ordinaire à la démondialisation nécessaire. Il faut retrouver le sens de la mesure, arrêter de croire que plus est forcément mieux. « La folie du « plus » est fille de la plus-value, que cette dernière soit extraite de la matière, du travail, de la technologie ou de l’immatériel“. Et l’auteur propose d’essayer de »laisser s’infiltrer ces deux petits adverbes, « moins » et « mieux », et les laisser tisser des raports insolies dans notre vie quotidienne pour expérimenter ce que cela donne en pratique". Moins et mieux : tout est dit.