POURQUOI LES SOCIÉTÉS DISPARAISSENT
Page 138 de son livre, qu’il a sous-titré Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Jared Diamond fait cette réflexion glaçante. Il vient de détailler les raisons qui ont entraîné la quasi-disparition des habitants de l’île de Pâques, au milieu du Pacifique sud. « Les parallèles que l’on peut établir entre Pâques et l’ensemble du monde moderne sont d’une dramatique évidence. L’île polynésienne était tout aussi isolée dans l’océan Pacifique que la Terre l’est aujjourd’hui dans l’espace. Lorsque les Pascuans étaient dans une situation critique, ils n’avaient nulle part où aller, ni personne vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, tels nous autres, Terriens contemporains qui n’aurons non plus nul recours extérieur si nos problèmes s’aggravent. »
C’est dire tout le sens et tout l’intérêt de cet ouvrage : Jared Diamond raconte avec talent et empathie l’histoire de ces sociétés anciennes qui ont brillé avant de s’effondrer, parfois brutalement : les habitants de l’île de Pâques, les Indiens Anasazis du Nouveau-Mexique, les Mayas de la péninsule du Yucatan, les Vinkings du Groenland. Mais s’il prend du temps pour ça, c’est pour comprendre ce qui s’est passé, quels facteurs ont joué dans cette chute. Il y a bien sûr l’environnement, les conditions climatiques, mais aussi les échanges avec les voisins, les conflits, et enfin la façon dont la société elle-même réagit face à ces changements.
Pour chaque étude, Jared Diamond [1] applique cette grille d’analyse. Et c’est très instructif. Pourquoi les habitants de l’île de Pâques ont-ils rasé tous les arbres qui couvraient leur terre ? Pourquoi les Anasazis se sont installés dans les canyons stériles du sud-ouest américain ? Pourquoi les vikings se sont-ils installés au sud du Groenland et pourquoi se sont-ils acharnés à vivre de l’élevage, au lieu de s’inspirer du mode de vie des inuits ?
Il ne faudrait pas croire que nos sociétés dites avancées, à l’ère de la mondialisation triomphante, ne commettraient plus les mêmes erreurs. La preuve ? L’exemple rwandais. Les destins différents des Haïtiens et des Dominicains qui se partagent la même île. La Chine, grande dévoreuse de ressources naturelles et saccageuse au nom de la croissance infinie. L’Australie, qui marche sur la tête et pas seulement parce qu’elle se trouve aux antipodes. C’est aujourd’hui, c’est maintenant, et nous en subissons les conséquences chaque jour. Car, comme le précise Jared Diamond en conclusion, « le monde est un polder ».
Aux Pays-Bas, un des endroits au monde où la conscience environnementale est la plus forte, la majorité des terres sont au-dessous du niveau de la mer. Que celle-ci monte, et le pays sera noyé. C’est la même chose au niveau mondial. Jared Diamond pointe ainsi pas moins de douze signaux d’alerte, que ce soit en terme de destruction des ressources naturelles, de changement climatique, de dissémination de produits dangereux ou de la question démographique. Le tableau qu’il dresse, sans être catastrophiste, fait tout de même peur.
Un livre essentiel donc pour comprendre ce dans quoi nous sommes engagés. Un livre qui croise l’histoire, la géographie, la botanique et l’ethnologie avec passion et avec talent. On peut cependant rester sceptique sur la timidité des solutions proposées (faire pression sur les politiques et les multinationales). Jared Diamond travaille en effet pour le WWF (fonds mondial pour la vie sauvage) et ne rechigne pas à conseiller des grosses entreprises, notamment d’extraction pétrolière, constatant au passage que certaines faisaient de gros efforts en matière de protection de l’environnement. A aucun moment, sauf brièvement en conclusion, il ne fait le lien entre la croissance économique comme dogme et la dégradation des conditions de vie. Page 554, il constate ainsi « A l’heure actuelle, il est politiquement intenable pour les dirigeants du Premier Monde [2] de proposer à leurs citoyens d’abaisser leur niveau de vie pour consommer moins de ressources et produire moins de déchets ».
Dommage que Jared Diamond n’ait pas pris la peine d’expliquer le concept de décroissance, qui ne prône pas l’abaissement du niveau de vie, mais le changement du mode de vie, qui permettrait effectivement de consommer moins de ressources (notamment énergétiques) et de produire moins de déchets. Et qui permettrait à tous de mener une vie décente. Au moins les lecteurs trouveront-ils dans Effondrement un argumentaire de première qualité pour étayer leurs aspirations à vivre autrement.