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Franklin D. Roosevelt

Au-delà du New Deal, de Pearl Harbor et de la conférence de Yalta, que reste-t-il de Roosevelt soixante-sept ans après sa mort ? Dans une biographie très documentée, André Kaspi n’élude pas les zones d’ombre du plus grand président des Etats-Unis.

L’homme qui n’avait jamais peur

« La seule chose que nous ayons à craindre, c’est la crainte elle-même. » Il est bien rare qu’un grand homme d’Etat ne laisse pas pour la postérité une phrase emblématique, même si avec le temps qui passe on en oublie souvent l’auteur. Trente-deuxième président des Etats-Unis, Franklin Delano Roosevelt n’était pas du genre à s’effrayer facilement, et c’était préférable : élu en 1932 à la tête d’un pays dévasté par le krach boursier, président d’une nation frappée par la terrible attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, chef des armées à la tête de la coalition occidentale en lutte aussi bien en Europe que dans le Pacifique, le moins qu’on puisse dire, c’est que rien ne lui aura été donné sur un plateau.

Mais qui était vraiment Franklin Roosevelt ? Pour nous autres Français, reste essentiellement de lui une image sorti des livres scolaires, celle de la conférence de Yalta (février 1945) où se décide le partage du monde : il apparaît assis, entre Winston Churchill à sa gauche et Joseph Staline à sa droite. Il est maigre, visiblement épuisé, et succombera deux mois plus tard à une hémorragie cérébrale. C’est pourtant le plus jeune des trois : il a alors 62 ans, contre 65 ans pour Staline et 69 ans pour Churchill.

Yalta n’est d’ailleurs pas une grande réussite pour le président des Etats-Unis : même s’il tente de traiter d’égal à égal avec Staline, mettant Churchill de côté, il se fait manœuvrer par le numéro un soviétique sur le partage des zones d’influence en Europe centrale.

Ce sera sa dernière erreur de jugement, mais pas sa première, loin s’en faut. Son bilan en politique étrangère est d’ailleurs globalement mauvais, dès le début : il ne se préoccupe guère de la montée des régimes fascistes en Europe et se trompe régulièrement de cheval. Pendant la guerre d’Espagne, le gouvernement américain se méfie comme la peste des Républicains et soutient plutôt Franco, une fois la guerre déclarée en Europe, les frontières des Etats-Unis ne s’ouvrent pas en grand pour accueillir le flot de réfugiés européens (et notamment les juifs), Washington ignore De Gaulle et soutient le gouvernement de Vichy, puis l’amiral Darlan, puis Giraud (soit trois erreurs successives, difficile de faire pire), ordonne l’enfermement des immigrés japonais résidant dans l’Ouest des Etats-Unis (dont la majorité sont citoyens américains), met en place le programme Manhattan avec l’objectif de larguer sur le Japon une bombe atomique et enfin ne juge pas prioritaire le bombardement des voies ferroviaires menant aux camps d’extermination.

Pour n’importe quel chef d’Etat d’un grand pays, un tel bilan suffirait à ruiner définitivement sa réputation. Et pourtant, Roosevelt a acquis, même aux yeux d’historiens fins connaisseurs des Etats-Unis comme André Kaspi, le statut de « plus grand président des Etats-Unis du vingtième siècle », pas très loin de George Washington et d’Abraham Lincoln. Pourquoi ? Les deux raisons essentielles se résument à ceci : un volontarisme politique concrétisé par la mise en place du New Deal, renforçant la place de l’Etat et s’appuyant sur des réformes sociales, et la conversion de l’industrie américaine en économie de guerre en un temps record, qui va faire des Etats-Unis la première puissance mondiale.

Il est d’ailleurs intéressant de parcourir l’expérience Roosevelt quelques semaines après l’élection de François Hollande. Tout comme FDR, le nouveau président de la République semble animé de la volonté de mettre un peu plus de justice dans le système, sans aller toutefois jusqu’à remettre en cause ses fondements. Les années qui viennent nous diront s’il s’est rapproché, toutes proportions gardées bien entendu, de Roosevelt ou plutôt du président du Conseil originaire de Corrèze, Henri Queuille.