télécharger l'article au format PDF

From Hell

CET HONORABLE DOCTEUR GULL

Certains prétendent que Jack l’Eventreur, le premier serial killer des temps modernes, a inauguré le vingtième siècle dans la deuxième partie de l’année 1888, dans le quartier londonien de Whitechapel. En tout cas, cette histoire sordide (cinq prostituées égorgées et éviscérées au scalpel) de la période victorienne, une des plus noires de l’histoire britannIque, a inspiré de nombreux auteurs, que ce soit dans la littérature, au cinéma ou dans la BD. On se souvient du Peter Pan extraordinaire de Régis Loisel, dont la route faisait un peu plus que croiser celle de Jack.

En 2000, a été éditée en France (chez Delcourt) la version de l’Anglais Alan Moore [1] (le scénariste de Watchmen) et de l’Australien Eddie Campbell. Un pavé impressionnant de près de 600 pages (dont 40 de notes !) justement sous-titré Une autopsie de Jack l’Eventreur. Si le scénario, en béton, impressionne par sa rigueur, son foisonnement documentaire et ses ellipses, le dessin très sec et très aride déroute un peu et semble en retrait. De plus, les planches sont un peu trop petites (ce qui gêne la lecture) et sortent très rarement du classicisme d’une grille de trois cases sur trois.

Mais qu’importe. Une fois bien accroché dans l’histoire, on ne la lâche plus. On suit avec horreur la descente aux enfers (dont il est question dans le titre) du médecin William Gull, au service de la reine Victoria, exécuteur des basses œuvres et virtuose de la dissection. Esprit malade, qui disserte sur les mythes enfouis et la géométrie urbaine, et qui se projette par flashs glaçants dans un vingtième siècle faussement civilisé. Au moment où il commence sa série de meurtres, en Autriche un couple est en train d’engendrer celui qui va devenir le plus grand tueur en série de tous les temps...

Dans From Hell, on croise aussi William Blake, Robert Louis Stevenson, Oscar Wilde ou John Merrick, surnommé Elephant Man. Car au-delà de la petite histoire (que pèsent les cadavres de cinq prostituées londoniennes en regard des massacres à venir ?), c’est la grande que nous raconte Alan Moore. Celle qui, cent vingt ans après, nous relie au destin de Polly Nichols, Annie Chapman, Liz Stride, Kate Eddowes et Marie Kelly, à qui le livre est dédié. Car pour les pauvres, il n’est pas sûr que ce troisième millénaire qui commence soit moins dur que le dix-neuvième siècle finissant.