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Jolie Blon’s Bounce

Avec le personnage de Legion Guidry, Burke se lance dans une métaphore du mal absolu, presque une figure de style, rappelant celle de Randall Flagg dans le Fléau de Stephen King. 480 pages serrées comme un poing fermé à dévorer sans hésitation.

Comme une odeur de mort

Comme souvent dans les romans de Burke, ce n’est pas dans l’intrigue de départ qu’il faut chercher l’originalité : deux meurtres de femmes, l’une violée et achevée à coups de fusil, l’autre, une prostituée toxicomane, massacrée à coups de poing. Ce n’est pas non plus dans le cadre : les bayous autour de la paroisse de New Iberia, la Louisiane des villes et celle des campagnes. 

Comme souvent aussi, le récit prend rapidement la tangente et amorce une boucle en arrière, dans les années cinquante où les femmes noires travaillaient dans les plantations de piment dans des conditions proches de l’esclavage. Où un contremaître blanc pouvait choisir une fille à sa guise et l’amener dans les bois.

Ces vingt-cinq pages, quasiment une nouvelle enchâssée dans le premier quart du roman, servent en fait à introduire un des pires personnages imaginés par Burke : Legion Guidry, le contremaître blanc, est une sorte d’incarnation du mal.

Totalement dénué de scrupules, ne respectant personne, il sème la terreur partout où il passe, disparaît et réapparaît là où on ne l’attend pas et semble bénéficier de protections haut placées. Il dégage une odeur de charogne et, derrière son accent cajun, se cache une voix venue d’outre-tombe parlant des langues mortes.

On ne peut évidemment pas s’empêcher de penser à Randall Flagg dans le Fléau de Stephen King. Mais ce dernier en faisait une créature surnaturelle, alors que Burke ne joue pas ce jeu-là. Legion Guidry est un être de chair et d’os, sur lequel le temps ne semble pas avoir de prise : malgré ses 74 ans, il est capable de rouer de coups Dave Robicheaux avant de commettre sur lui un acte humiliant.

L’autre originalité de Jolie Blon’s Bounce, c’est justement le récit de la descente aux enfers de Robicheaux. Dévoré de l’intérieur par un mélange de culpabilité, d’humiliation et de haine, l’ancien alcoolique va ruminer sa vengeance en se rabattant sur les médicaments de sa femme et en cognant tout ce qui bouge, comme si Guidry l’avait contaminé.

La solution que Robicheaux trouvera pour sortir de l’impasse n’est certainement pas orthodoxe mais tout à fait convaincante d’un point de vue psychologique, un domaine dans lequel Burke est capable d’une très grande finesse.

Le roman, d’une tonalité d’ensemble très noire, est aussi traversé par des personnages singuliers, comme un sans-abri vétéran du Vietnam que Robicheaux va prendre en charge, un illuminé qui fait du porte à porte avec une valise remplie de Bibles et attachée à une planche à roulettes, où encore un cambrioleur excentrique surnommé le Lapin de Pâques, capable de prendre les messages au téléphone dans une maison qu’il est en train de visiter.

On y retrouve enfin Clete Purcel, tête brûlée, catastrophe ambulante, pour qui l’expression « comme un éléphant dans un magasin de porcelaine » semble avoir été spécialement créée. Et un jeune Noir surdoué à la guitare, dont la version moderne de la chanson de 1946 Jolie Blon’s Bounce aurait pu faire un artiste reconnu s’il n’avait pas pris un chemin funeste.