Les derniers jours de Lev Davidovitch

L’homme qui aimait les chiens un roman de Leonardo Padura - éditions Métailié

, par Bruno

Roman monumental où la réalité (l’assassinat de Trotski par Ramon Mercader à Mexico) surpasse la fiction, L’homme qui aimait les chiens explore la mécanique infernale du stalinisme, vue comme une bombe à retardement.

C’est un très grand livre, et pas seulement par sa longueur (700 pages) : le Cubain Leonardo Padura raconte dans l’Homme qui aimait les chiens les trajectoires de deux individus dans le siècle, animés au départ d’un même idéal — le communisme — mais qui vont se rencontrer au sein d’une tragédie, l’assassinat de l’un par l’autre. Le premier, c’est l’Espagnol républicain Ramon Mercader. Le second, c’est l’une des figures de la Révolution russe de 1917, Lev Davidovitch Bronstein, alias Trotski. Entre les deux, un piolet qui servira à assouvir la vengeance de Staline contre celui qu’il considère comme la plus grande menace pour lui.

<media1648|embed|right|class=shadow>Ce n’est bien sûr pas qu’un roman, tant l’histoire réelle est omniprésente. Mais ce n’est pas non plus un documentaire ou un essai historique, puisque Padura entremêle le récit Mercader/Trotski (entre le début des années 30 et la fin des années 60) avec un autre, fictionnel celui-là, impliquant un écrivain cubain contemporain, Ivan, et un homme étrange promenant deux lévriers barzoï sur une plage. Qui est cet homme ? Pourquoi semble-t-il si bien connaître Mercader ?

Au début, tout est clair : d’un côté, Trotski rentre de sa déportation en Sibérie pour être chassé d’URSS où il ne retournera jamais : on le suit en Turquie, en France, en Norvège et finalement au Mexique, sa liberté de mouvement et de parole rétrécissant un peu plus à chaque fois. De l’autre, Mercader, jeune militant communiste embarqué dans la guerre d’Espagne côté troupes staliniennes, dont l’obsession n’est pas tant de battre les nationalistes que de mettre hors de nuire les anarchistes et les trotskistes du POUM.

Puis, plus l’histoire avance, plus les repères se brouillent : quand Mercader apprend qu’il a été choisi pour être l’un des tueurs potentiels du Canard (le surnom donné à Trotski), sa haine contre celui présenté comme un traître, un renégat et le fossoyeur de l’idéal socialiste lui sert de carburant. Mais quand la date fatidique approche, et qu’il côtoie Trotski, tout se complique.

De son côté, Trotski est bien autre chose qu’une victime innocente du stalinisme : le Vieux rend la vie impossible à ses plus proches soutiens, se brouille sans arrêt avec son propre fils et noue une liaison tardive avec l’artiste mexicaine Frida Kahlo. Mais il ne manque pas d’un certain panache, et d’une clairvoyance étonnante sur les ressorts cachés des procès de Moscou et sur le rapprochement fatal entre Staline et le régime nazi.

Tout ça, et bien plus encore, Leonardo Padura le raconte avec un art de la narration absolument parfait, changeant constamment le registre de son roman : tantôt fesque historique, tantôt récit introspectif, parfois burlesque, souvent tragique, où les illusions perdues viennent se fracasser contre la réel, ses petites bassesses et ses grandes trahisons.