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LQR, la propagande du quotidien

Nul besoin d’écrire de gros pavés pour être compris. L’éditeur Eric Hazan, qui connait ses classiques, rend hommage en 122 pages à Victor Klemperer, qui écrivit de 1933 à 1945 un livre baptisé LTI (la langue du troisième Reich). Avec LQR, ce n’est bien sûr plus du troisième Reich qu’il est question, ni du nazisme, mais de la langue de la cinquième république, Lingua Quintae Respublica, LQR [1]. Vous n’en n’avez jamais entendu parler ? Pourtant, son vocabulaire imprègne les discours, les communiqués, les flashs d’information, les unes des journaux, les rapports, les publicités. C’est une langue qui n’invente rien, mais qui détourne les mots de leur sens, qui en substituent certains à d’autres, une langue soporifique qui masque la réalité des choses. Des exemples ? On ne dit pas pauvres, ni exploités, mais exclus, couches sociales au lieu de classes sociales, éloignement à la place d’expulsion, plans sociaux pour licenciements collectifs, traitement social du chômage pour développement de l’emploi précaire, prise en otage des usagers pour grève dans les transports publics, etc.

Selon Eric Hazan, la mission essentielle de la LQR, c’est d’éviter que le consensus social ne vole en éclats, ce qu’il a fait plus ou moins à deux reprises en trois ans, lors des présidentielles de 2002 et du fameux référendum sur la constitution européenne en 2005. On a bien vu à cette occasion comment « ceux qui expriment un désaccord ne sont pas des ennemis ni même vraiment des adversaires. Ils sont dans l’erreur parce qu’ils sont mal informés ou parce que leur niveau intellectuel ne leur permet pas d’avoir une vue juste du problème posé [...] On ne saurait leur en vouloir d’avoir mal voté. Simplement, on leur a mal expliqué. »

Riche en exemples bien choisis et en références historiques, l’essai d’Eric Hazan aurait toutefois gagné à plus de rigueur [2]. Comme il le reconnaît lui-même (« N’étant ni linguiste ni philologue, je n’ai pas tenté de mener une étude scientifique de la LQR dans sa forme du XXIème siècle »), il a procédé « par une démarche qui tient pour beaucoup de l’association d’idées ». Ce qui rend le texte agréable à lire, très clair mais relativement frustrant.

[1Daniel Mermet lui a consacré une émission de Là-bas si j’y suis le 15 février dernier

[2Rigueur dont font preuve les rédacteurs d’Acrimed