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La fête à Boro

Bon, d’accord, le titre est très mauvais. Mais le septième tome des aventures de Boro, reporter photographe, vaut mieux que cette première impression. Au cours de cet hiver 43-44, on croise les prisons de la rue Lauriston où officie la Gestapo, et un de ses pensionnaires les plus célèbres : le fameux docteur Petiot. C’est lui la vraie vedette de l’histoire qui raconte la collaboration et le rationnement dans un Paris qui prépare la libération.

QUAND PETIOT ÉCLIPSE BORO

Si la deuxième guerre mondiale inspire visiblement le duo Dan Franck - Jean Vautrin, ça ne se voit pas dans les titres : autant les trois premiers de la série étaient romantiques à souhait (La dame de Berlin, le temps des cerises, les noces de Guernica), autant les trois derniers manquent cruellement d’imagination (Boro s’en va-t-en guerre, Cher Boro, La fête à Boro). Comme si la préoccupation éditoriale (décliner le nom du personnage principal) avait pris le pas sur l’inspiration littéraire.

On avait laissé Boro, il y a deux ans,au cœur de la résistance où sa route avait croisé celle de Jean Moulin et de l’Orchestre rouge. Cette fois, c’est la collaboration qui teinte le roman d’un dégradé vert-de-gris, cette collaboration ordinaire et veule dans un Paris où il n’y a plus rien à manger. Et où les réseaux d’évacuation de juifs vers l’étranger tournent à plein régime.

Autant dire que les Allemands n’ont pas la part belle dans ce volume. On y retrouve la bande de malfrats de Pépé l’Asticot, reconvertie dans le trafic à la petite semaine mais toujours prête à faire le ménage pour aider Boro, ainsi que les prostituées d’Olga Polanovna, surnommée la Louve de Sibérie. Mais la grande vedette, celle qui phagocyte le récit et éclipse petits et grands personnages, c’est le docteur Eugène, plus connu sous le nom de Marcel Petiot. Un vrai serial killer, un boucher sans scrupule qui empoisonne ses victimes avant de les équarrir comme à l’abattoir et de les dissoudre à la chaux vive.

Les pages qui décrivent le calvaire de Petiot, livré pendant sept mois aux griffes de la Gestapo, puis celui des malheureux qui lui confiaient tous leurs biens pour financer un improbable voyage en Amérique du sud, sont de loin les plus fortes du roman. On sent la fascination qu’exerce Petiot sur Franck et Vautrin, le désir sous-jacent, sans doute, de lui consacrer un roman pour lui seul.

Du coup, une fois l’épisode Petiot terminé, en mars 1944, le récit prend la tangente, saute brusquement au débarquement (que Boro vit comme l’a vécu Robert Capa), puis à la libération de Paris, puis à l’ouverture des camps de la mort, le tout en moins de dix pages ! Difficile de comprendre pourquoi des moments aussi importants ont été à ce point bâclés. Manque de place ? Lassitude de la période de guerre qui a occupé trois des sept volumes de la série ? On verra par la suite si Boro ira jusqu’à Budapest en 1956, comme nous l’avait confié Dan Franck il y a tout juste dix ans [1] Ou si sa trajectoire s’arrêtera au même endroit que celle de Robert Capa, dans un champ de mines indochinois au printemps 1954.

[1A l’occasion du salon du livre antifasciste de Gardanne en 1997.