L’ÂME DAMNÉE DU RÊVE AMÉRICAIN
Connaissez-vous Clyde Tolson ? Non ? Il a pourtant été pendant 25 ans le numéro deux du FBI, de 1947 à 1972. Mais il a été éclipsé par le numéro un, le dénommé John Edgar Hoover, son directeur pendant la journée et son amant le reste du temps. C’est cette histoire, authentique, que raconte le romancier Marc Dugain à partir des nombreuses archives qui couvrent la période allant du New Deal de Roosevelt, au début des années 30, jusqu’à l’afffaire du Watergate, qui s’est déclenchée quelques mois après la mort de Hoover en mai 1972. Période mouvementée qui a vu les Etats-Unis s’isoler dans un premier temps du conflit mondial, puis s’y engager, déclencher la guerre froide, lancer la chasse aux sorcières avec le maccarthysme, s’engager au Vietnam, freiner le mouvement des droits civiques pour l’égalité des Noirs, comploter contre Castro à Cuba et passer à deux doigts d’une guerre nucléaire avec l’URSS.
La période aura été également marquée par l’exécution des époux Rosenberg, l’asssassinat de John Kennedy, puis de Martin Luther King, puis de Bob Kennedy et par le très douteux suicide de Marylin Monroe. Tout cela sous le regard impassible de Hoover et Tolson (surnommés ironiquement Johnny and Clyde), aussi intransigeants dans leur lutte contre le communisme (en gros, les démocrates, les progressistes, les écrivains, les artistes...) que complaisants avec la Mafia (dont Hoover prétendit longtemps qu’elle n’était qu’une vue de l’esprit).
Le roman de Dugain, par la voix de Tolson, décrit avec une précision clinique la manière dont Hoover a tissé sa toile au cœur de l’Etat (le FBI est sous la tutelle du ministère de la Justice), instaurant un lien direct entre lui-même et le locataire de la Maison Blanche. Roosevelt, Truman et Kennedy ont bien cherché à se débarasser de lui, mais en vain : faisant de l’écoute illégale une discipline olympique, Hoover disposait de suffisamment de documents compromettants pour rendre extrêmement périlleuse toute tentative de le mettre à la porte.
Deux hommes ont pourtant été bien près d’y parvenir. Le premier fut Thomas Walsh, sénateur du Montana nommé ministre de la Justice par Roosevelt en mars 1933. La première décision de Walsh serait d’écarter Hoover du FBI, une décision qu’il n’eût jamais l’occasion de prendre puisqu’il mourut dans le train qui l’amenait à Washington où il allait prendre ses fonctions. Le second, c’est Robert Kennedy, ministre de la justice de JFK et adversaire acharné de Hoover pendant quatre ans. En 1968, Bob Kennedy est en piste pour les présidentielles avec de bonnes chances d’être élu face à Richard Nixon, un proche de Hoover qui apprécie ses méthodes de gangster. Malheureusement, il est abattu à Los Angeles. Le hasard et les circonstances font parfois bien les choses...
A côté de ces passages instructifs et fort peu ragoûtants, il y a des moments très drôles, comme lorsque Hoover, dépressif et angoissé, décide de consulter un psychanalyste. Enfin, à sa manière : le psy doit se déplacer à domicile, rendre toutes ses notes à son client, lequel enregistre secrètement ses séances ! Même si l’expérience ne durera pas, la confrontation entre Hoover et le disciple de Freud est des plus savoureuses : le défenseur des valeurs puritaines américaines, l’ennemi juré des noirs, des communistes et des homosexuels était lui-même terrorisé par les femmes, sauf sa mère évidemment, et vivait en couple avec son adjoint.
Un autre moment d’anthologie survient après une dispute entre Hoover et Truman à propos de la façon dont Jesus aurait été trahi par Judas. Furieux, le directeur du FBI ordonne aussitôt après à un de ses agents de mener une enquête pour rétablir la réalité historique... Enfin, le FBI ayant intercepté une conversation de Bob Kennedy disant qu’il s’inspirerait de la pensée d’Albert Camus dans son action politique, Tolson est envoyé à la campagne interroger un universitaire spécialiste de l’auteur de l’Etranger pour vérifier si toutefois ce Camus n’était pas un cryptocommuniste !