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La nuit la plus longue

Le seizième roman de la série Dave Robicheaux est en fait le prétexte pour James Lee Burke de crier sa rage et son désespoir devant la Nouvelle-Orléans après Katrina. Catastrophe naturelle, incompétence politique et violence incontrôlable se cumulent pour aboutir à un chaos urbain digne du Moyen-Age.

C’était la Nouvelle-Orléans

Quel est le personnage principal de La nuit la plus longue ? Bien malin qui pourrait le dire. Ce n’est pas Dave Robicheaux, le shériff adjoint de New Iberia en Louisiane. Ce n’est pas non plus son étrange ami Clete Purcel, un privé que rien n’arrête. Est-ce alors le jeune noir Bertrand Melancon, traqué pour avoir dévasté sans le savoir la villa d’un mafieux notoire ? Ou bien cette figure du mal incarnée par Ronald Bledsoe, dont le visage long et blafard évoque l’arrière d’un pouce ?

On ne surprendra personne en avançant l’hypothèse que La nuit la plus longue (The Tin Roof Blowdown) a sans doute comme personnage principal son décor apocalyptique, à savoir la Nouvelle-Orléans juste après le passage de l’ouragan Katrina, le 29 août 2005.

« C’était avant qu’un ouragan plus puissant que la bombe qui a frappé Hiroshima n’épluche le sud de la Louisiane. C’était avant qu’une des plus belles villes d’Occident n’ait été tuée trois fois, et pas uniquement par les forces de la nature. »

James Lee Burke, qui a quitté la Louisiane depuis plusieurs années pour s’installer dans le Montana, réussit là le tour de force de bâtir un véritable thriller avec une chasse à l’homme où les chasseurs doivent constamment vérifier qu’ils ne sont pas eux-mêmes traqués, et de décrire méticuleusement, d’une façon quasiment documentaire, la dévastation de la Nouvelle-Orléans, abandonnée par les autorités et livrée aux pillards.

« La zone de soins intensifs ressemblait à un charnier. Des poches d’eau s’étaient formées au plafond et s’écoulaient goutte à goutte, comme des ampoules géantes, sur des patients dont la plupart portaient encore leurs vêtements de ville. Ceux qui avaient été amenés des urgences avaient été blessés par balles, poignardés, tailladés, tabassés, électrocutés, heurtés par des automobiles, retirés des égouts, à moitié morts. »

Ce chaos absolu n’est évidemment pas dû qu’à l’ouragan Katrina, lequel a bon dos. L’incurie de l’Etat fédéral, incapable d’entretenir le système de digues qui protégeaient la ville du lac Pontchartrain, la corruption endémique du NOPD (la police de la Nouvelle-Orléans) et enfin la criminalité galopante alors que les crédits des services publics avaient été dramatiquement réduits ont démultiplié les effets de la catastrophe naturelle, transformée en aubaine économique : chasser la population majoritairement noire et pauvre du centre-ville.

Six ans après, c’est chose faite.

Trois articles intéressants sur James Lee Burke à lire dans Libération du 1er août 2011 à propos de La nuit la plus longue, dans Télérama le 10 mai 2010 suite à la catastrophe pétrolière dans le Golfe du Mexique et dans La Croix du 15 avril 2009 où Bertrand Tavernier raconte sa collaboration avec le romancier pour l’adaptation de Dans la brume électrique.

Enfin, un documentaire de 53 minutes a été réalisé par Orange où James Lee Burke se confie longuement à Bruno Icher, dans sa maison du Montana. Il évoque Katrina et la Nouvelle-Orléans, le 11 septembre, le fondamentalisme chrétien, son amour des armes à feu, le personnage de Dave Robicheaux, l’administration Bush et l’élection de Barack Obama. Ce documentaire n’est plus accessible en ligne.