Le projet est démesuré : 2500 pages réparties en trois tomes, avec une trentaine de contributeurs du monde entier sous la direction de l’historien Jay Winter. Il est en fait à la taille de son sujet et de son ambition, à savoir embrasser le plus largement possible l’événement historique, militaire, économique, démographique et politique que fut la première guerre mondiale.
De 14-18, malgré la vague commémorative qui a commencé à tourner en boucle depuis l’automne dernier, on ne retient généralement pas grand chose : les tranchées, les Poilus, Verdun, le gaz moutarde, Pétain, les casques à pointe, le wagon de Rethondes et le traité de Versailles. Eclipsée par sa grande sœur (ou plutôt sa fille) démente de 39-45, la Grande guerre a pourtant été bien plus complexe que ça.
Elle a en effet engendré une Révolution majeure (en Russie) qui a failli donner la victoire en Allemagne et qui a accouché de la Guerre froide. Elle a donné l’occasion à la Turquie de se livrer au premier génocide d’Etat contre la communauté arménienne. Elle a inauguré les combats aériens, l’utilisation des chars et de la photographie. Elle a déclenché involontairement le mouvement de décolonisation par le recours massif aux Africains et aux Asiatiques sur les champs de bataille. Elle a permis l’entrée en force des Etats-Unis dans le concert des nations. Elle a engendré les premiers mouvements massifs de réfugiés civils. Enfin, elle a fait exploser les empires européens et enclenché le déclin irréversible du Vieux continent.
Le grand mérite de ce travail d’un collectif d’historiens réunis par Jay Winter, c’est de sortir des clichés : la Grande guerre ne s’est pas limitée au front de l’Ouest. Il n’y a pas eu de coup de poignard dans le dos de l’armée allemande en novembre 1918. L’Allemagne n’est pas la seule responsable du déclenchement de la guerre. Cette quatrième génération d’historiens à travailler sur 14-18 est transnationale en ce sens qu’elle met en relation des historiens américains, africains, asiatiques et pas seulement européens (essentiellement français, anglais et allemands) et qu’elle englobe les questions au-delà des enjeux nationaux. Les mutineries, les transferts de population ou l’épidémie de grippe espagnole n’avaient que faire des frontières.
Ce premier volume, intitulé Combats, est centré sur les batailles, en Europe et ailleurs, mais aussi sous les mers et dans les airs, avec l’apparition des sous-marins et des avions. Les fronts peu connus, l’italo-autrichien et l’ottoman sont aussi détaillés, de même que l’impact de la Grande guerre en Amérique, en Afrique ou en Asie. Enfin, il est aussi question des crimes de guerre, du génocide arménien et du droit de la guerre. Les deux prochains volumes, à paraître au printemps et à l’été 2014, porteront sur les Etats et les Sociétés. On les attend avec impatience.