La stratégie du choc

de Naomi Klein - éditions Actes sud

Un désastre politique, une catastrophe économique et un drame humanitaire : du Chili à l’Irak en passant par l’Argentine, l’Afrique du Sud, la Russie ou le Sri Lanka, la thérapie de choc initiée par Milton Friedman et les économistes de l’école de Chicago a ruiné des pays et des populations entières. Pour Naomi Klein, les réformes ultralibérales ne peuvent passer que dans un contexte de choc, guerre, catastrophe naturelle, putsch ou invasion.

DES CRIMES ÉCONOMIQUES CONTRE L’HUMANITÉ

Un grand livre d’analyse géopolitique à chaud : après No logo, qui décortiquait les stratégies de conquête des multinationales, la journaliste canadienne s’en prend aux ravages causés par les Chicago Boys, ces économistes ultralibéraux qui dans le sillage de Milton Friedman, ont décrété que la seule politique possible était d’ouvrir en grand les marchés et de privatiser tout ce qui pouvait l’être. C’est ainsi que, du putsch qui a renversé Allende le 11 septembre 1973 à l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en août 2005, le capitalisme du désastre a fantasmé sur la page blanche à partir de laquelle les théories de Friedman pourraient être pleinement appliquées. Suppression des barrières douanières, rétrécissement de l’Etat, libéralisation des prix déclenchant une vague d’hyperinflation, vente des ressources nationales et, bien sûr, répression politique impitoyable.

Les résultats ne se font pas attendre : explosion de la pauvreté de masse et de la délinquance, avènement d’une classe de milliardaires, économies sinistrées et fuite des capitaux. Cette thérapie de choc, semblable aux saignées du Moyen-âge, les pays d’Amérique du sud les ont expérimentés à la suite du Chili dans les années 70-80. Puis ce fut le tour des pays d’Europe de l’est, de la Russie, de la Chine, de l’Afrique du sud et même d’Israël dans la foulée de l’échec des accords d’Oslo.

Avec l’arrivée en 2000 du gouvernement Bush, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes qui ont accéléré le mouvement dans une économie qu’on aurait pourtant du mal à qualifier de socialiste. Les attentats du 11 septembre ont largement profité au lobby de la sécurité et de la reconstruction, et l’ouragan Katrina a fourni une occasion en or à ceux qui rêvaient de chasser les classes populaires de la Nouvelle-Orléans.

Il est d’ailleurs frappant de mettre en parallèle la gestion de cette crise avec celle qui a suivi le tsunami qui a frappé l’océan Indien en décembre 2004 : là aussi, la phase de reconstruction n’a pas été mise à profit pour reloger les habitants qui avaient tout perdu, mais bien pour les chasser du littoral et y construire des équipement de tourisme de luxe.

Ce fantasme mortifère de la destruction créative vient de loin, plus précisément des années 50 quand des psychiatres, avec le soutien de la CIA, ont expérimenté des techniques de privation sensorielle suivies de surstimulation sur des malades tout d’abord. Ces expériences, qui visaient à « effacer » la personnalité pour mieux la reconstruire sur des bases entièrement nouvelles, ont été largement reprises depuis, que ce soit par les dictatures latino-américaines que par les Etats-Unis eux-mêmes, dans les prisons d’Abou Ghraïb en Irak ou au bagne de Guantanamo.

Le dernier étage de cette fusée, on pourrait dire d’arme de destruction massive, c’est la fameuse guerre contre le terrorisme menée depuis sept ans avec le succès que l’on sait. Mais peu importe la fin, après tout. Comme le précise Naomi Klein, « du point de vue militaire, la guerre contre le terrorisme est impossible à gagner. Du point de vuer économique, elle est impossible à perdre. » Des entreprises comme Halliburton (spécialisée dans la reconstruction), Lockheed Martin (matériel militaire) ou Blackwater (milices privées) encaissent en effet des dizaines de milliards de dollars de commande publique pour se substituer à l’Etat, aussi bien dans les territoires occupés, comme l’Irak, qu’à l’intérieur des frontières. Des marchés emportés sans appel d’offres, et la plupart du temps avec des résultats désastreux, mais c’est sans importance, puisque l’objectif est de dépouiller l’Etat le plus vite possible.

Si le tableau dressé par Naomi Klein est proprement effrayant, il reste toutefois quelques raisons de ne pas désespérer : en Amérique latine, là où tout a commencé, les peuples ont élu (sauf en Colombie) des gouvernements de gauche qui se sont démarqués du diktat du FMI et tentent de mettre en place une zone économique autonome. En Europe, les Français et les Néerlandais ont repoussé le traité constitutionnel européen. En Thaïlande, des communautés de pêcheurs sont en train de reconquérir les rivages d’où ils avaient été chassés. Des habitants de la Nouvelle-Orléans y sont d’ailleurs allés y chercher des idées pour redonner vie à leurs quartiers. A cette liste, on pourrait y ajouter la perspective d’une victoire de Barack Obama en novembre prochain. On lui souhaite bien du courage.