télécharger l'article au format PDF

Le boogie des rêves perdus

Refusé plus de cent fois par les éditeurs étatsuniens dans les années 70-80, The Lost Get-Back Boogie est pourtant un immense roman, un chant choral et désespéré dans les décors sauvages du Montana.

Just another guy on the lost highway

A quoi tient une grande carrière de romancier, quand même... En 1978, James Lee Burke noie dans l’alcool son désespoir. Il a dépassé la quarantaine et ses romans ne marchent pas. Plus précisément, ils ne sont pas édités. Et quand ils le sont, ils ne trouvent pas leur public. Pourtant, avec The Lost Get-Back Boogie, hymne déchirant au blues et au destin qui s’abat dans le décor prodigieux du Montana, Burke a mis tout ce qu’il avait dans le ventre. Cette fois, forcément, ça va marcher.

Le boogie des rêves perdus est refusé par les éditeurs. Une fois, dix fois, vingt fois. Cent fois. Il faut mesurer l’archarnement incroyable dont cet homme est capable, neuf ans durant (neuf ans !), jusqu’au jour où les Presses de l’Université de Louisiane acceptent enfin. Nous sommes en 1986 et Burke est enfin sorti de son alcoolisme. Il lance un personnage qui le suit désormais depuis trente ans, le cajun Dave Robicheaux. Et il est enfin reconnu comme un très grand romancier.

Le boogie des rêves perdus est son dernier roman pré-Robicheaux. Mais sa ressemblance, on pourrait presque dire sa gémellité avec le tout récent Swan Peak en font une des plus belles histoires de son œuvre. Celle du destin brisé d’Iry Paret, guitariste de blues surdoué, prince de la Dobro (guitare équipée d’un résonateur), sorti de deux ans de prison pour meurtre et qui tente de refaire sa vie dans le Montana.

Le Montana où l’accueille son ami Buddy Riordan, dont les projets de vie se résument à sniffer de la coke et à lécher l’acide des timbres entre deux cuites. Le Montana et ses paysages extraordinaires. Le Montana et ses hommes prêts à tout pour sauver leur emploi, et son shérif très mal disposé envers les Sudistes comme Paret.

En liberté conditionnelle, Iry Paret est en sursis et il le sait. Rien ne lui sera pardonné, le moindre écart le renverra dans le pénitentier louisianais d’Angola dont on ne sort jamais indemne. Mais il ne peut décemment pas se laisser rouer de coups et voir son camion et sa chère guitare partis en fumée sans réagir. Et peut-il résister encore longtemps aux charmes de Beth, l’ex-femme de Buddy ?

L’œuvre de Burke est intemporelle et construite sur des constantes qui se jouent des modes et des années qui passent. Même découverts à l’envers, en commençant par La nuit la plus longue, ses romans se ressemblent tous et sont pourtant chacun différents. Ils disent tous l’extrême difficulté de vivre avec ses démons intérieurs mais aussi la beauté des paysages, l’importance des petits bonheurs partagés, le prix des grands amours et la valeur des amitiés indestructibles. Les rêves perdus de James Lee Burke sont aussi les nôtres.