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Le chagrin entre les fils

C’est une histoire de tapisserie narrative extrêmement précieuse et censée avoir disparu dans un incendie. C’est une histoire de Joe Leaphorn, policier navajo retraité qui trouve le temps long et qui se penche sur cette vieille affaire impliquant un tueur en série capable de changer d’identité, un peu comme les Porteurs-de-peau, ces sorciers de la mythologie navajo tant redoutés. Un petit concentré de l’univers romanesque de Tony Hillerman, 82 ans et fidèle au poste.

QUI PAIE SES DETTES S’ENRICHIT

Le chagrin entre les fils, c’est d’une certaine manière une histoire de dettes. Des dettes qui n’ont a priori rien à voir entre elles, et qui sont pourtant reliées l’une à l’autre par un fil mystérieux, celui qui sert de trame aux romans de Tony Hillerman depuis plus de trente ans.

Il y a donc d’un côté une très vieille femme, presque centenaire, qui garde rancune auprès du lieutenant Joe Leaphorn, retraité de la police tribale navajo. Pensez-donc : alors que ce dernier apprenait le métier, il y a bien longtemps de cela, deux seaux remplis de résine de pin pignon avaient été volés à Grand-Mère Peshlakai. Et Leaphorn, trop occupé par une affaire d’incendie dans un comptoir d’échanges, n’avait jamais retrouvé le voleur.

De l’autre côté, il y a l’étrange et fortuné Jason Delos et son non moins étrange et dévoué domestique laotien, Tommy Vang. Ce dernier ne souhaite qu’une chose, retrouver le pays où il est né et d’où il a été arraché au moment de la fin de la guerre du Vietnam.

Et entre les deux, une tapisserie narrative navajo appelé Le chagrin entre les fils, à la réputation sulfureuse. Cette tapisserie d’une très grande valeur racontait la Longue marche, cette déportation massive du peuple navajo par Kit Carson en 1863. Et elle avait brûlé dans le comptoir d’échanges auquel Leaphorn s’était intéressé au début de sa carrière. Or, la voilà qui reparaît, dans le salon de Jason Delos...

On le sait, pour Tony Hillerman, l’histoire policière n’est qu’une toile de fond, un prétexte. Ce qui compte, ce sont les personnages, leurs doutes, la façon dont ils cherchent tant bien que mal à rétablir le hozho, l’harmonie rompue par un acte criminel. Dans le chagrin entre les fils, il ne se passe pas grand chose, l’histoire se déroule lentement, presque sans à-coups. Et pourtant, à la fin, les choses auront repris leur place, et une certaine forme de justice, pas forcément légale, aura été rendue. Et on comprendra pourquoi Leaphorn, dans sa jeunesse, a eu tort de ne pas prendre au sérieux le vol des seaux de résine. Grand-mère Peshlakai avait bien raison de lui en vouloir, finalement.