A quoi pense la Victoire de Samothrace ?

Le chien qui louche un roman graphique d’Etienne Davodeau - éditions Futuropolis

, par Bruno

Après les Ignorants, Etienne Davodeau nous offre bien mieux qu’une visite du Louvre : une plongée légère et poétique dans le quotidien et les amours d’un agent de surveillance.

Avouons-le d’entrée : quand on a découvert que le dernier album d’Etienne Davodeau serait coédité par Louvre éditions, on était un peu inquiet. C’était quoi, ce projet qui sentait la commande pour boutique de musée ? Reconnaissons-le après coup : on avait tort. Comme on avait tort d’être sceptique devant le thème des Ignorants, sorte d’échange de savoirs entre un auteur de BD et un vigneron angevin. Car, quand même, il s’agit de Davodeau, sans doute le plus fin observateur des petites bassesses et des vraies grandeurs de ses contemporains, en particulier ceux qui n’accrochent pas la lumière. C’est comme ça que le gros coup de lassitude d’une femme au chômage devient une odyssée libératrice et contagieuse (Lulu femme nue).

<media1664|embed|right|class=shadow>Avec Le chien qui louche, Etienne Davodeau réussit le tour de force de jongler entre l’infiniment petit et l’infiniment grand : le plus célèbre musée du monde et ses œuvres immenses et ceux qui le font vivre au quotidien, comme ses agents d’accueil et de surveillance, autrement dit les gardiens. Déjà, l’idée est belle : à quoi pense-t-il à longueur de journée, cet agent coincé entre la Victoire de Samothrace et les milliers de visiteurs qui la mitraillent à coup de smartphone et de tablette ? Ils se met un instant à la place de la statue, peut-être. Et fait des paris avec ses collègues pour savoir au bout de combien de minutes on leur demandera où se trouve la Joconde. Ou les toilettes. Et qui sont vraiment ces visiteurs assidus, discrets et incollables qui semblent faire partie des meubles ?

Les meubles, tiens, parlons-en. Le gardien en question, Fabien, vit le parfait amour avec une jeune femme magnifique de fraîcheur, d’espièglerie et de rondeurs, Mathilde. Et la famille de Mathilde, c’est les Benion. Marchands de meubles à Angers depuis la nuit des temps, la France profonde côté dynastie commerciale. Pas commodes, les Benion (c’est le cas de le dire), qui testent le nouveau prétendant histoire de voir s’il mérite bien leur sœur. Et qui profitent de l’occasion pour lui demander un petit service : la croûte de l’ancêtre, Le chien qui louche, n’aurait-il pas sa place au Louvre ?

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Présentée comme ça, l’intrigue n’a pas la moindre chance. Sauf que chez Davodeau, les petits pas de côté finissent souvent en embardées poétiques et loufoques. Pour voir Le chien qui louche au Louvre, il faudrait un miracle. Ici, le miracle prend la forme d’une république du Louvre clandestine comme une loge maçonnique, et dont un des petits plaisirs est de sortir des sentiers battus. On ne dévoilera pas la suite, mais attendez-vous à de multiples surprises…

On était curieux de voir aussi comment Etienne Davodeau allait gérer la difficulté de dessiner le Louvre en tant que bâtiment, et les œuvres qu’il abrite. Si l’on voit très peu les peintures, les statues y ont toute leur place. D’ailleurs, dans une bande dessinée, rien n’empêche une statue d’avoir l’air aussi vivante qu’un humain, ou au contraire un personnage d’être aussi figé qu’une sculpture de marbre...

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Le chien qui louche nous offre ainsi des planches magnifiques où deux statues de la cour Puget s’interpellent et se répondent, alors que Mathilde, accroupie nue dans sa salle de bains, présente le galbe d’une sculpture antique. Ou quand Fabien, de garde dans la salle des Cariatides, songe, devant les seins des statues qui pointent sous le drapé, à ceux de sa belle quand elle enfile un vieux T-shirt au sortir de la douche. Sans oublier une sublime scène d’amour où le cadre bascule de 90 degrés quand les amants se roulent sur le plancher.

De la nostalgie, de l’impatience, du mystère, de la bouffonnerie, de la poésie et surtout une immense tendresse pour le genre humain : il y a tout ça dans le dernier Davodeau, qui a l’élégance de ne pas prendre ses lecteurs et ses personnages pour des touristes I love Paris grimaçant pour la photo. Qu’il en soit remercié.