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Le jour où Stephen King t’agrippa

Il y a trente ans, Stephen King imaginait dans Le Fléau les Etats-Unis dévastés par une épidémie de grippe mortelle à 99,4%, à côté de laquelle la peste noire qui avait décimé le tiers de la population européenne entre 1347 et 1351 fait figure de rhume des foins. Génèse de ce roman, pour Envrak.fr.

Quand le Fléau (The Stand) paraît aux États-Unis en 1978, c’est le cinquième roman de Stephen King, le quatrième sous son nom (Rage, sorti en 1977, est sous le pseudo de Richard Bachman). King a alors 31 ans. Depuis l’avance de 200 000 dollars reçue en 1973 pour Carrie (publié l’année suivante), il se consacre désormais à plein temps à l’écriture. Au cinéma, Brian De Palma a adapté Carrie, et Stanley Kubrick va en faire de même pour Shining. Sa très prometteuse carrière est lancée.

La toute première trace du Fléau, on la trouve dans une courte nouvelle (dix pages) intitulée Une sale grippe (Night surf) et parue dans un magazine en 1969 (elle sera inclue dans le recueil Danse macabre en 1978). Mais la première version du Fléau est jugée trop longue. Comme le raconte King dans Écriture, son éditeur lui affirme qu’un livre de plus de treize dollars (de l’époque) ne se vend pas. Il faut donc élaguer. King s’en charge lui-même, sort les ciseaux et enlève 400 pages à son manuscrit. Or, comme il le dit dans la préface à la nouvelle édition du Fléau, sortie en 1990, « ces détails ne sont absolument pas essentiels à l’intrigue, mais d’une certaine manière, ce sont eux qui font l’intrigue, ils font partie de l’art magique du conteur ».

La version intégrale, et remise à jour, compte désormais deux tomes (dans l’édition Livre de Poche de 2003), soit au total 1500 pages. Dans sa préface, King, facétieux, livre un secret de fabrication : « quand on me demande comment j’écris, je réponds toujours : un mot à la fois ». Un mort à la fois, si on préfère. Dans Écriture, il raconte le contexte de la première version du Fléau, dans la deuxième moitié des années soixante-dix. Il imagine alors rien de moins que l’anéantissement de la culture technologique suite à une épidémie foudroyante de supergrippe. « c’était une vision étrangement optimiste : plus de crise de l’énergie, plus de famines, plus de massacres, plus de pluies acides, plus de trou dans la couche d’ozone. »

Ce qu’il décrit, c’est tout simplement « l’occasion de repartir de zéro dans un monde centré sur Dieu où les miracles, la magie et les prophéties avaient de nouveau cours. » Là, ça se gâte : en clair, King souhaite réenchanter le monde, avec cette manie agaçante, pour ne pas dire plus, des protestants nord-américains de partager le monde en deux, le bien d’un côté, le mal de l’autre. Et l’on peut se lasser des métaphores bibliques, du combat à distance entre une centenaire habitée par Dieu et l’incarnation du Diable. 


La couverture originale du Fléau en 1978 (à droite) et l’adaptation du roman en BD chez Marvel (inédite en France)


Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le tout début de l’histoire, un enchaînement de circonstances qui va lancer la plus terrible dévastation de l’histoire de l’humanité, à côté de laquelle la peste noire qui avait décimé le tiers de la population européenne entre 1347 et 1351 fait figure de rhume des foins. En moins de trois semaines, dans des circonstances qui ne seront jamais établies clairement, un virus s’échappe d’un laboratoire secret de l’armée américaine, en Californie. Ce virus, appelé Projet Bleu ou grippe A (tiens tiens), sort de la base en même temps qu’un agent de sécurité qui tente de s’enfuir avant que le secteur ne soit bouclé.

L’homme parcourt plusieurs centaines de kilomètres en voiture avec sa femme et sa fille, et meurt dans une station service, où il contamine le pompiste et quelques amis qui avaient eu la mauvaise idée de passer par là. « Il n’y avait pas une chance sur un million que cette série de coïncidences se produise, comme pour le gros lot à la loterie » affirme un des responsables du centre de recherches, tout en regardant par les caméras de surveillance le cadavre d’un homme la tête plongée « dans un bol de soupe Campbell, bœuf et vermicelles », comme le précise King, toujours soucieux du petit détail.

Très vite, la supergrippe s’étend, malgré les tentatives de l’armée d’isoler les malades. La désinformation règne, la presse n’étant informée que d’une épidémie d’anthrax (comme après le 11-Septembre, d’ailleurs). Qu’importe : le mouvement de panique ne dure pas bien longtemps, car, comme l’explique Stephen King, « l’organisme humain ne pouvait produire les anticorps nécessaires pour arrêter un virus antigène en mutation constante. » Toute ressemblance avec le sida... C’est un virus foudroyant, qui tue en quelques heures, et dont le taux de mortalité est mesuré avec une grande précision : 99,4%. A l’échelle de la France d’aujourd’hui, pour vous donner une idée, il ne resterait donc que quatre cent mille survivants. Finie la crise du logement, sans parler du chômage ou des repas de Noël en famille !

Car au-delà de la description de l’état des mourants (toux, rhume, fièvre dévorante, glaires, puis à la fin, « cou gonflé comme une chambre à air, violacé comme un gros pneu »), ce sont les images d’un monde en plein chaos qui fascinent et donnent le vertige : des cadavres partout, des voitures bloquées dans de gigantesques embouteillages, des scènes de pillage dans des boutiques débordant de victuailles, des incendies qui se déclenchent et que plus personne ne peut contenir, et, au bout d’un moment, des animaux sauvages qui entrent dans les villes à l’abandon. La supergrippe n’est qu’un point de départ, un starter pour une histoire qui se développe ensuite à travers une multitude de personnages placés devant des choix cruciaux, de vie ou de mort.

Dans Écriture, Stephen King constate : « le livre dont la rédaction m’a pris le plus de temps a été le Fléau. C’est aussi celui que mes lecteurs les plus fidèles semblent préférer ». En espérant qu’il en restera suffisamment l’an prochain pour continuer à l’apprécier...

A la demande de Holden, quelques nouvelles de Stephen King : Alors qu’on attend la sortie en France de Just after Sunset (recueil de nouvelles) et Under the Dome (gros roman qui vient de paraître aux États-Unis), King a annoncé travailler à un nouveau volume de La Tour sombre. JJ Abrams et D. Lindelof (créateurs des séries Lost et Alias) se sont désengagés de l’adaptation de la saga. La chaîne câblée HBO est intéressée par les droits d’Under the Dome. Enfin, Stephen King a annoncé avoir bouclé le scénario de Cellulaire, dont il aurait changé la fin.

En 1994, Mick Garris adapte le Fléau pour la télévision, avec une minisérie de six heures.


 

A lire de Stephen King :
Le Fléau, Le livre de poche (2003), deux tomes de 750 pages, 7,50 euros chacun.
Ecriture, mémoires d’un métier (2001), éditions Albin Michel.
Danse macabre, éditions J’ai Lu (1999) pour la nouvelle Une sale grippe.

A lire aussi, un essai sur les conséquences d’une disparition brutale de l’espèce humaine :
Alan Weisman, Homo Disparitus, éditions Flammarion (2007), 400 pages, 19,90 euros.

A voir :
Le site officiel de tonton Stephen (en anglais) : www.stephenking.com