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Les Anonymes

Adepte du thriller politique aux dimensions d’une fresque, RJ Ellory a vu grand pour son sixième roman : A simple act of violence, assez mal traduit en Les Anonymes, est un vaste trompe l’œil qui part d’un tueur en série pour remonter jusqu’au cœur du secret d’état américain.

Des Etats-Unis comme tueur en série ultime

Quant on parle de Roger Jon Ellory, deux références arrivent en tête des citations : Robert Littell pour ses romans d’espionnages très documentés sur la CIA (notamment La compagnie) et James Ellroy pour sa description froide et clinique de la violence extrême (et aussi parce que son nom est l’annagramme de celui d’Ellory). On pourrait y ajouter Dennis Lehane pour la description des milieux urbains (ici Washington) et le caractère désabusé et toujours à la limite de l’abandon de ses personnages principaux.

Les Anonymes, A simple act of violence en vo, est le sixième roman d’Ellory, mais seulement le troisième traduit en français, après Seul le silence et Vendetta. Vu le succès de ces trois titres, on peut parier qu’on lira bientôt Candlemoth, Ghostheart, City of Lies, The Anniversary Man, et Saints of New York. Les éditions Sonatine, créées il y a quatre ans, ont pour l’instant la main sur le filon.

De quoi parle Les Anonymes ? Au départ, d’un tueur en série à Washington, qui a quatre victimes féminines à son tableau de chasse. On le surnomme le tueur au ruban. Jusque là rien de bien original, sauf que lorsque l’inspecteur Robert Miller se penche sur le passé des victimes, il ne trouve rien. Comme si, au fond, ces femmes n’avaient jamais vraiment existé. Ou alors sous une autre identité. Pourquoi ?

A partir de ce quatrième crime qui ouvre le roman, Robert Miller tire sur un fil qui le mènera beaucoup plus loin qu’il ne le pense, et nous avec. Ici, le faux semblant est maître du jeu : le tueur en série en est-il vraiment un ? Pourquoi son mobile semble-t-il se dérober au fur et à mesure que l’enquête avance ? Quel est cet étrange point commun qui relie les quatre victimes ? Pourquoi le meurtrier laisse-t-il déilbérément des indices qui permettent de retrouver sa piste ?

C’est ainsi que RJ Ellory détourne brillamment les codes du genre, tout en faisant mine de s’y plier : les ambiances urbaines d’un Washington où se croisent sans se voir ceux qui décident du sort du monde et ceux qui tentent de survivre au quotidien, les discussions entre inspecteurs de police dont le passé est loin d’être limpide, une course contre la montre avant la prochaine victime... Et en arrière plan, la CIA comme un état dans l’Etat, qui définit ses propres finalités et ses propres moyens sans que personne n’y trouve à redire. Et qui fait de la première puissance mondiale le plus grand tueur en série contemporain.

Là où Ellroy, dont on connaît les opinions conservatrices et réactionnaires, joue du cynisme absolu de ses personnages, Ellory s’approche au plus près de leurs contradictions, leurs faiblesses, leurs espoirs déçus et leurs rêves brisés et montre une certaine empathie, ce qui le rapproche de Lehane. Ces anonymes-là donnent en tout cas envie d’en découvrir d’autres.