UNE SPIRALE GÉNÉALOGIQUE DONT L’ENTRÉE EST UNE TACHE DE NAISSANCE
Ils sont quatre, quatre personnages de quatre générations de la même famille. Le petit Solomon, six ans, Californien [1] surdoué et déjà monstrueux de cynisme. Randall, son père, qui ne partira pas faire la guerre en Irak mais qui travaille pour un programme d’armement, sa grand-mère Sadie, handicapée, juive orthodoxe convertie et qui passe sa vie à faire des recherches sur les enlèvements d’enfants par les nazis pendant la guerre, et enfin Erra, l’arrière-grand-mère, une ancienne chanteuse libertaire aux origines indéterminées.
Le roman est découpé en quatre parties, chacune d’elle prenant la voix d’un des quatre personnages l’année de ses six ans [2], celle où on entre à l’école et où, d’une certaine façon, on quitte la petite enfance pour se frotter à la société. Et c’est ainsi que de Solomon à Erra en passant par Randall et Sadie, on remonte le temps chapitre après chapitre, des Etats-Unis de George Bush à la Bavière de l’effondrement du régime hitlérien en passant par Israël au temps des massacres de Sabra et Chatila et des années Kennedy juste après la baie des Cochons.
Voilà comment tous les mystères entr’aperçus dans une première partie suffocante et brutale se révèlent petit à petit, comme les peaux d’un oignon que l’on enleverait l’une après l’autre pour atteindre le cœur secret de l’histoire. En tentant une opération chirurgicale pour enlever un grain de beauté à la tempe du petit Solomon, ses parents croient lui épargner tout risque de mélanome. Mais, symboliquement, c’est toute sa filiation qu’ils veulent effacer. Car cette tache de naissance, on la retrouve chez son père (sur l’épaule), chez sa grand-mère (sur la fesse) et son arrière-grand-mère (au creux du bras). Et elle a évidemment une signification essentielle, révélée dans le tout dernier chapitre. [3]
Le fil rouge du récit, c’est bien évidemment la transmission. Ces enfants de six ans savent déjà lire ou sont en train d’apprendre, le premier surfe sur Internet (où il prend en pleine figure toute la laideur du monde), le second apprend l’hébreu, la troisième le piano et la quatrième le polonais. Mais ils observent aussi les adultes, leurs parents ou ce qui en tient lieu, ils entendent ce qui se dit et tentent tant bien que mal de tricoter ces mots avec leur histoire personnelle. Et c’est ainsi que se tissent l’intime et l’universel, les drames de l’enfance et les tragédies de l’histoire.