Début 2000, la population de la quatrième ville bolivienne, Cochabamba, se soulevait contre la privatisation de l’eau au profit de la multinationale étatsunienne Bechtel. Après plusieurs mois de lutte et de quasi insurrection, les habitants finissaient par obtenir satisfaction, engendrant un mouvement social puissant qui devait porter au pouvoir Evo Morales fin 2005. La réalisatrice et actrice espagnole Iciar Bollain a eu envie de raconter cette histoire.
Mais pour la mettre en perspective, elle a choisi de le faire à travers le récit d’un tournage de film historique reconstituant la rencontre funeste entre Christophe Colomb et les Indiens taïnos en octobre 1492, un événement que la plupart des historiens qualifient d’acte de naissance de la mondialisation et du capitalisme. Quel rapport entre Colomb et Bechtel, les Caraïbes et Cochabamba ? L’impérialisme, évidemment, mais aussi l’appât du gain et des ressources naturelles. A l’époque de Colomb, c’était la soif de l’or qui avait engendré un véritable génocide. Au tournant du troisième millénaire, c’est la privatisation de l’eau, qui s’annonce comme la ressource la plus précieuse dans les décennies à venir.
Soit donc une équipe de tournage (probablement espagnole) venue tourner en Bolivie (pour économiser les indemnités des figurants, même si les Quechuas andins n’ont rien à voir avec les Taïnos caraïbes) les premiers temps de la Conquête, avec les figures héroïques de Bartolomé de Las Casas et de Hatuey, chef de la révolte Taïno. Même la pluie raconte le début de ce tournage, le casting de figurants dans la population locale, la construction de décors (et l’hélitreuillage d’une gigantesque croix qui menace d’écraser les acteurs) et les répétitions.
Mais bien entendu, rien n’est simple. Un des acteurs indiens est aussi impliqué dans le mouvement populaire contre la privatisation de l’eau, et sa participation de plus en plus engagée dans les manifestations, qui se terminent par des passages à tabac et des incarcérations, inquiète fortement le réalisateur (Gael Garcia Bernal) et le producteur (Luis Tosar). Le premier est habité par son film mais semble peu concerné par la révolte qui se passe sous son nez. Le second, surtout préoccupé par des considérations financières est prêt à tout pour que le tournage aille à son terme.
Ne vous fiez pas à la bande-annonce, qui peut laisser penser à un film empli de bons sentiments et de grands principes. Même la pluie est plus subtil que ça, porté par deux grands acteurs (l’Espagnol Luis Tosar s’était fait remarquer dans un précédent film d’Iciar Bollain, Ne dis rien. Quant à Gael Garcia Bernal, il avait notamment incarné le Che dans le brillant Carnets de voyage du Brésilien Walter Salles. La grande scène de la crucifixion de treize indiens par les Espagnols, interrompue par l’arrivée de la police bolivienne venue arrêter l’acteur indien incarnant Hatuey, est un raccourci étonnant, télescopant en quelques plans cinq siècles d’histoire.
Si les hasards du calendrier ont fait coïncider la sortie de Même la pluie (début janvier) avec les révolutions dans les pays arabes (Tunisie, puis Egypte et enfin Lybie), il est impossible de regarder la reconstitution des combats de Cochabamba sans penser à ceux de Tunis, Le Caire ou Benghazi. Car quand la détermination populaire est prête à aller jusqu’au bout, rien ne peut l’arrêter.
Enfin, le film est sous la protection de deux parrains prestigieux : Ken Loach, bien entendu, puisque le scénariste Paul Laverty a écrit pas moins de neuf films du réalisateur britannique, et puisque Iciar Bollain avait interprété le rôle de Maite dans le splendide Land and freedom, en 1995. Mais aussi l’historien américain Howard Zinn, mort il y a un an, auteur notamment d’Une histoire populaire des Etats-Unis et à qui le film est dédié.