Né il y a 45 ans, Pierre Bottero a découvert très jeune le Seigneur des Anneaux avant de devenir instituteur. En 2001, il publie chez Rageot le premier tome d’une série qui connaît un grand succès. Ewilan est née. Deux trilogies (La quête d’Ewilan, les mondes d’Ewilan) racontent ses aventures, ici et à Gwendalavir, un monde parallèle qu’elle rejoint en faisant un pas sur le côté. Jeune héroïne de quatorze ans, elle maîtrise à la perfection l’Art du dessin qui lui permet de se sortir de situations périlleuses en se glissant dans l’Imagination.
Accompagnée par la marchombre Ellana (héroïne d’une autre trilogie de Pierre Bottero), son ami Salim, des combattants, un petit garçon aux pouvoirs dévastateurs et un vieillard philosophe, elle voyage dans un univers romanesque où le fantastique laisse toute sa place à la poésie (les chevaucheuses de brume, les fils du vent, les rêveurs qui guérissent) et où les filles ont la part belle. Ewilan, c’est de l’héroïc fantasy de grande qualité qui se distingue dans une littérature jeunesse aussi variée qu’inégale. Juste avant de partir pour le Salon du livre, Pierre Bottero a répondu à nos questions.
- Illustration Jean-Louis Thouard
L’heroïc fantasy fait-elle selon vous une vraie place aux personnages féminins ?
J’ai envie de répondre oui à cette question et ce, malgré l’indéniable prédominance numérique des héros masculins. Ce oui est en premier lieu un hommage aux grandes dames de la fantasy, à la finesse qu’elles y ont introduite et à leurs personnages, souvent féminins, complexes et attachants. Citons ainsi Marion Zimmer Bradley, Joan Vinge, Ursula le Guin, Anne Mccaffrey, Lois McMaster Bujold, Robin Hobb ou encore Tanith Lee.
Et il y a les héroïnes, stupéfiantes héroïnes, Red Sonja, Vendredi, Sara, ou, plus proche de nous, Lyra ou Violaine. Alors les femmes ont certes de l’espace et de la liberté à conquérir en fantasy (comme ailleurs…), mais elles s’y emploient déjà de fort belle façon.
Ewilan et Ellana sont très différentes. Peut-on dire qu’Ewilan fait le lien entre notre monde et l’autre, alors qu’Ellana est étrangère à notre monde ?
Ewilan fait partie de notre monde, c’est indéniable. Elle découvre Gwendalavir avec les yeux d’une adolescente actuelle, découvre en même temps le pouvoir qui vit en elle et si ses origines la prédestinent à l’aventure et à l’exceptionnel, son parcours est avant tout celui d’une jeune fille en route vers l’âge adulte.
Je ne considère pas Ellana comme une étrangère. Bien au contraire. En effet, si la spécificité d’Ewilan est liée avant tout à son pouvoir, celle d’Ellana se définit par un mot, un seul mot, universel : liberté. Peu importe le monde où elle évolue. Ellana est un être libre qui avance. Personnage bien plus universel, à mon sens, qu’Ewilan.
Gwendalavir est-il un double inversé de notre monde pour les relations hommes-femmes ?
J’aime imaginer Gwendalavir comme un monde où les hommes et les femmes vivent une véritable égalité. Une égalité de fait et de conscience, si évidente qu’elle n’a besoin d’aucune lutte ou revendication pour exister. Pas un double inversé donc mais une projection oxygénante du nôtre dans un avenir qu’il nous reste à construire.
Pourquoi est-ce important, selon vous, de montrer des relations filles-garçons originales dans des fictions destinées à la jeunesse ?
Tout d’abord, je n’ai pas le sentiment que les relations que je décris entre mes personnages féminins et mes personnages masculins soient si différentes de celles que l’on peut observer dans la réalité. J’essaie de les illuminer, de les densifier, d’y mettre des mots et de la vérité mais l’amour ou l’amitié sont des sentiments capables d’effectuer le grand pas sans difficulté.
Ensuite, le propre de la littérature est de dégager des chemins. Celui de l’amour, surtout à la période de l’adolescence, est parfois encombré d’obstacles difficiles à bouger ou à contourner quand on a quinze ou seize ans. Un bon roman peut s’avérer plus utile dans cette tâche qu’un long discours.
Les réactions des jeunes lecteurs sont-ils différents pour les filles et pour les garçons ?
J’ai longtemps cru que les filles lisaient davantage mes romans que les garçons. Ce sont elles, en effet, qui m’écrivent, viennent à ma rencontre sur les salons et me font part de leurs sentiments. Puis j’ai réalisé que les garçons lisaient autant et ressentaient la même chose. Ils le gardent pour eux, tout simplement.
Quelles difficultés rencontre-t-on quand on décrit un personnage féminin alors qu’on est un homme ?
Aucune. Je suis persuadé qu’en tout être humain coexistent une part de masculinité et une part de féminité. Le monde n’est pas divisé entre les hommes et les femmes mais entre soi et les autres. Écrire c’est écouter, ressentir, vibrer puis retranscrire. Écrire c’est aller vers les autres. Peu importe que ces autres soient hommes ou femmes.
Dans ces trilogies, l’Art du dessin est une métaphore de l’écriture, et l’Imagination représente la fiction...
L’Art du dessin est un moyen de rendre réel ce qu’on imagine. En ce sens, c’est vrai, il s’apparente à l’écriture. Mais il s’inscrit surtout, certes métaphoriquement, dans la famille bien plus vaste des outils qui permettent à l’homme d’évoluer. Ces outils magnifiques qui laissent l’entière responsabilité de leurs actes à ceux qui les manient. Écriture, sciences, architecture, médecine… politique.
Un personnage qui s’échappe du monde réel pour se réfugier dans l’imaginaire, c’est une longue filiation, de Peter Pan à Harry Potter. Ewilan se situe-t-elle dans cette filiation ?
Je n’ai pas voulu créer une Ewilan qui fuit mais une Ewilan qui cherche et trouve, et mes personnages sont avant tout, du moins je l’espère, des êtres humains qui avancent et progressent.
Si on admet le parallèle entre le personnage et le lecteur, le monde imaginaire et le livre, je suis convaincu que la lecture, l’immersion dans un univers imaginaire, n’est en rien une fuite ou un déni de réalité, mais une bouffée d’oxygène qui n’a d’autre objectif qu’équilibrer celui ou celle qui la prend pour lui permettre de continuer à avancer. De trouver sa place. Où que soit cette place.