« Nous sommes un univers sur pattes » : Tayeb Belmihoub a beau avoir été footballeur professionnel avant de devenir auteur et comédien, il a un sens certain de la formule. « Nous possédons de façon innée une mémoire inscrite en nous de tout ce qui existe. » De quoi parle-t-il, à votre avis ? D’art ou de foot ? Et quand Martial Gerez, enseignant en histoire de l’art qui n’a pas oublié le petit footballeur qu’il était enfant, répond : « Le but libère l’équipe alors que l’œuvre ne libère pas l’artiste, » parle-t-il de football ou de création ?
C’est toute la richesse de ce petit livre (publié par les éditions L’Art-dit, 80 pages, 12,20 euros) que l’on dévore avec gourmandise. On croit tout connaître du foot après avoir joué soi-même (certes, il y a longtemps), après avoir vu des centaines de matches et en avoir décortiqué des dizaines [1]. Et on découvre dans Propos sur l’art et le foot des choses nouvelles, un peu comme on regarderait un tableau sous un angle différent, décalé, ou comme on reverrait un film après avoir lu une analyse éclairante.
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Le dribble est un état intérieur
Pour Tayeb Belmihoub, le rond central pourrait figurer le centre du monde, et chaque but serait une sorte de fécondation, une naissance. Quant au dribble, « c’est une fluidité, un état intérieur, une construction personnelle par rapport au dépassement d’un obstacle. Un dribble, ça peut se peindre, ça peut se mettre en musique. » Ou encore, « au foot, la progression idéale des joueurs se fait en triangle. Or, un triangle, avant d’être une figure géométrique, c’est un nombre en action. Pour des footballeurs, c’est un appui, un porteur, un soutien. »
La conversation, pointue sans être pédante, toujours claire et accessible, nous amène en apparence loin des surfaces de réparation. A propos du respect des règles, Martial Gerez raconte comment l’alexandrin est devenu à la mode au 19e siècle, et Tayeb Belmihoub explique que la poésie arabe née dans le désert est calquée sur le rythme des pas du chameau. « C’est la nature qui inspire directement le poète, pas une école ou un caprice. »
Peindre la Joconde avec ses pieds
Il arrive même que des joueurs acquièrent le statut d’artiste, en donnant leur nom à une œuvre. Des exemples ? « C’est comme ça que sont nées la panenka, la madjer [2], ces noms qu’on a donné à ces gestes, à ces feintes. Le nom des joueurs qui, pour la première fois, ont osé ce qu’aucun joueur n’avait jamais songé faire avant eux. C’est comme s’ils avaient peint une Joconde, mais avec leurs pieds ! »
Tayeb Belmihoub a aussi des propos superbes sur le don : « le don qui a été offert à Maradona d’être plus habile avec la balle que le plupart des joueurs de la planète, ne vient pas de lui. Au départ, tout ce qui t’a été donné, ce qui fait de toi quelqu’un de grand, petit, beau, moche, on n’y a aucune part, donc aucune gloire ou aucune honte non plus à en tirer d’aucune sorte ! » Et de rappeler qu’au Moyen Age, « il était absolument inconcevable que l’artiste signe son œuvre. C’était une honte absolue que de faire preuve d’une telle prétention. »
Vous découvrirez à la fin (que l’on ne dévoilera pas) quel geste de footballeur a été le plus inspirant pour Martial Gerez au point qu’il l’utilise souvent pour introduire une conférence sur l’art. Allez, on peut mettre les connaisseurs de l’histoire mondiale du foot sur la voie : il s’agit d’un geste réalisé sans toucher le ballon. Un geste parfait, qui « a figé le temps et l’espace à jamais ».