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Quand tu seras petite - texte intégral

C’était le début du mois de juillet et il faisait chaud. Tellement chaud que même les ombres semblaient lourdes à tirer. A midi, dehors, on se serait cru à l’intérieur d’un four.

Cette année-là, Écila passait les grandes vacances avec Zoé, sa maman, à la campagne. La grande forêt qui commençait tout près de la maison était bien agréable : il y faisait bon, car les arbres étaient hauts et leur feuillage épais empêchaient le soleil de passer. Écila et sa maman aimaient s’y promener.

Quand elle apercevait un animal, Écila lui donnait un nom, comme si elle le connaissait. “Bonjour Noisette !” criait-elle quand elle voyait un écureuil dévaler un tronc d’arbre. “Maman, tu crois que Sainfoin va se montrer aujourd’hui ?” demandait-elle en cherchant des yeux un lapin. “Je ne trouve pas Quissifrotte, pourtant il était là hier” disait-elle en parlant du hérisson.

Écila avait de très bons yeux, et souvent, elle apercevait des choses que Zoé n’avait pas vues. Une fois, promis juré, elle avait repéré une girafe dont la tête et le long cou dépassaient derrière une haie d’arbustes. “Tu as beaucoup d’imagination, ma fille” avait ri sa maman.

MARDI

Ce jour-là, où il faisait un peu moins chaud que d’habitude, Écila et Zoé décidèrent de pique-niquer dans la forêt. Elles préparèrent des œufs durs, des tomates, du pain, du saucisson, des chips, des abricots et deux bouteilles d’eau fraîche. Après avoir marché pendant une heure, elles s’installèrent dans une clairière où l’herbe était douce.

Après le repas, Zoé s’allongea sur une couverture et s’endormit. Écila, qui n’était pas fatiguée, observa le va et vient d’une colonie de fourmis noires, puis se mit à surveiller les arbres à la recherche de Noisette. Le sommeil la prit par surprise alors qu’elle venait de se coucher auprès de sa maman.

C’est un rayon de soleil sur son visage qui la réveilla. Elle avait beaucoup transpiré et sa gorge était sèche. Allongée sur le ventre, Écila chercha des yeux les bouteilles d’eau. Vides, toutes les deux. Il lui semblait pourtant qu’à la fin du repas, l’une d’elle était presque pleine. C’était embêtant. Écila pensa un moment à réveiller Zoé, mais elle était grande maintenant, elle pouvait se débrouiller toute seule.

C’est alors qu’elle entendit un petit bruit dans la forêt silencieuse. Un peu comme un ruisseau. Écila se leva et fit quelques pas dans sa direction, sans trop s’éloigner de la clairière où dormait sa maman. Derrière un gros fourré, elle découvrit une vieille maison, toute petite, avec une porte sans poignée, deux fenêtres un peu de travers et une cheminée qui penchait. Elle avait l’air abandonnée. De hautes herbes l’entouraient, un volet était cassé et des tuiles manquaient sur le toit.

Près de la porte, une petite fontaine laissait s’écouler un filet d’eau dans un bassin de pierre. Deux oiseaux, qui s’y rafraîchissaient, s’envolèrent en entendant Écila. Le tuyau par lequel l’eau s’écoulait avait une forme étrange. Il s’élargissait puis se resserrait à l’extrémité. Un peu comme... comme une tétine, c’est ça. Écila n’avait jamais vu une fontaine aussi bizarre.

Comme elle avait très soif, elle se pencha, forma un petit bol avec ses mains pour y recueillir l’eau et les porta à sa bouche. L’eau était très fraîche, mais elle avait un petit goût.

Un petit goût de lait.

Ce n’est qu’après avoir bu de longues gorgées qu’Écila se redressa brusquement. ”J’espère qu’elle est bonne à boire, pensa-t-elle. Sinon, je risque d’avoir mal au ventre.” Ses mains glacées la firent frissonner. Elle courut pour rejoindre la clairière, s’embroncha dans une chose en plastique rouge et jaune à moitié enterrée et se rattrapa de justesse.

Zoé dormait toujours quand Écila s’allongea sur la couverture, le cœur battant. “Drôle de maison”, pensait-elle. “Drôle de fontaine aussi.” mais quand sa maman se réveilla, la petite fille préféra ne pas lui parler de ce qui lui était arrivé. De toute façon, Zoé ne la croirait pas.

MERCREDI

Le lendemain matin, il arriva à Écila une chose étrange. Alors qu’elle courait, son pied gauche sortit de sa sandale et elle se retrouva le nez dans l’herbe. La petite fille se rechaussa, mais elle s’aperçu que ses sandales étaient devenues trop grandes. Trop grandes ? Comment des sandales peuvent-elles s’agrandir toutes seules ?

L’après-midi, Zoé lui demanda de mettre son chapeau pour aller dehors.
- Il fait très chaud et le soleil tape dur, expliqua-t-elle. Je ne voudrais pas que tu attrapes une insolation.

Écila prit son chapeau bleu accroché au portemanteau et sortit en claquant la porte. Deux minutes après, elle rentrait et jetait le chapeau par terre.
- Maman, il m’embête ce chapeau, je n’y vois rien avec !

Zoé sourit et répondit :
- C’est normal, ma chérie, c’est un chapeau, pas des lunettes. Il sert à te protéger la tête du soleil, pas à t’aider à y voir mieux.

Écila poussa un long soupir. Décidément, les parents ne comprennent rien de ce qu’on leur raconte.
- Je sais bien, maman. Mais je te dis qu’avec ce chapeau, je n’y vois rien ! Regarde.

La petite fille ramassa le chapeau et le mit sur sa tête. Il lui descendait jusqu’aux yeux.
- Ce n’est rien, on va arranger ça. Je te fais un revers, viens là.

Écila ressortit, soucieuse. Ce matin les sandales (elles les avaient resserrées au maximum, mais son talon sortait à chacun de ses pas), maintenant, le chapeau... Tout semblait s’agrandir autour d’elle, et sa maman ne s’apercevait de rien !

C’est à l’heure d’aller se coucher que la petite fille s’inquiéta vraiment. Zoé venait de commencer à lui raconter son histoire préférée, Alice au pays des merveilles, et comme à son habitude depuis qu’elle était rentrée au CP, Écila déchiffrait quelques mots, la tête appuyée contre l’épaule de sa maman.

Or, ce soir-là, elle ne déchiffrait rien du tout. Elle reconnaissait bien la plupart des lettres, sans problème, ici un A, là un T, un peu plus loin un C... Mais elle n’arrivait à reconnaître presque aucun mot. Si, là, ALICE. Et la ligne en dessous, LAPIN. Mais le reste ? Ces dizaines de mots qu’elle était si fière de prononcer en les suivant de son index ? Impossible.

Pourtant, les mots que Zoé prononçaient étaient bien les mêmes que d’habitude. Mais elle ne les reconnaissaient plus.

JEUDI

En sortant de son lit, alors que le soleil dessinait des traits de lumière sur les contours des volets, Écila comprit tout de suite que les choses bizarres qui lui arrivaient depuis la veille n’étaient pas terminées.

Le bas de son pyjama lui tombait sur les chevilles. En haussant les épaules, la petite fille l’enleva et alla dans la vieille armoire choisir une robe. La bleue à rayures blanches, qui lui plaisait beaucoup mais qui commençait à être un peu serrée, lui descendait largement sous le genou et les bretelles ne tenaient plus sur les épaules. Écila se rappela ce qui lui était arrivé avec les sandales et le chapeau, hier. Pourquoi tout semblait trop grand ? Les choses changeaient-elles de taille sans qu’elle s’en rende compte ?

Écila ferma les yeux, essaya de réfléchir mais ne trouva rien. C’était juste un peu trop compliqué pour elle.

Et sa maman qui ne s’apercevait de rien...

VENDREDI

Encore par terre ! C’était la troisième fois d’affilée qu’Écila tombait de son vélo. Déjà, quand elle avait voulu en faire, il avait fallu que Zoé lui descende la selle au maximum. Et même comme ça, il était encore trop haut... Une fois perchée dessus, la petite fille avait le plus grand mal à tenir l’équilibre, et au bout de trois ou quatre coups de pédale, elle finissait sur les cailloux du chemin. “Si ça continue, il va me falloir les petites roues”, pensait-elle.

Pourquoi son vélo, lui aussi, se mettait-il à grandir ? Les chaises de la cuisine devenaient chaque jour un peu plus haute, et Écila devait se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre l’interrupteur des toilettes.

Et puis il y avait cette fatigue. A midi, la petite fille devenait grognon : piquer une tranche de tomate avec sa fourchette et l’amener jusqu’à sa bouche lui demandait autant d’efforts que de pousser une brouette pleine de cailloux. Écila avait sommeil, affreusement sommeil, et n’avait qu’une envie : aller s’allonger sur son lit, dans la pénombre de sa petite chambre, son lapin en peluche bien serré contre sa joue. - Fais une bonne sieste, ma toute petite, dors bien ! lui dit sa maman en l’embrassant sur le front.

SAMEDI

Le carton que Zoé était allé chercher au grenier sentait bon la poussière. A l’intérieur, Écila reconnu sa petite robe verte et bleue, une chemisette jaune paille et des sandales rouges qui lui semblaient minuscules. Ça faisait si longtemps qu’elle n’avait plus mis ces habits-là ! Au moins... au moins quatre ans, oui, quatre ans. C’est à ce moment-là qu’Écila comprit ce qui lui arrivait. Ce n’était pas son vélo qui grandissait, ni les chaises qui devenaient plus hautes. C’était elle qui rapetissait. Elle devenait de plus en plus petite.

Chaque jour, elle perdait un an. Ses pieds rétrécissaient, ses mains changeaient de taille, certains mots avaient du mal à sortir dans l’ordre de sa bouche : elle disait salamboire au lieu de balançoire, mousquitaire au lieu de moustiquaire, et elle ne savait plus compter à voix haute que jusqu’à cinq.

Pourtant, dans sa tête elle avait toujours sept ans. C’est quand elle voulait faire quelque chose que ça ne marchait plus.

Ce soir-là, couchée dans son lit qui lui semblait de plus en plus grand, Écila essaya de réfléchir :
- Je vais devenir de plus en plus petite. Demain, je n’aurai plus que deux ans, il va me falloir la couche. Après-demain, je serai redevenue un bébé de un an et je ne saurai plus marcher toute seule... Et après ? Est-ce que je rentrerai dans le ventre de ma maman ?

C’est sur ces pensées qu’épuisée, la petite fille s’endormit. Dans son rêve, elle avait chaud, de plus en plus chaud. Elle avait aussi soif, très soif. Si seulement elle se souvenait où elle avait mis son petit biberon d’eau...

MARDI

- Tu as bien dormi, ma puce ! Mais ne reste pas là au soleil, tu vas avoir trop chaud !

La voix de Zoé arriva aux oreilles d’Écila avant que ses yeux n’aient eu le temps de s’habituer à la lumière aveuglante. Où était sa chambre ? Et son lit ? Et sa peluche ? Pourquoi était-elle allongée sur une couverture, dans une clairière ?

Écila s’assit brusquement et regarda ses jambes et ses bras. Elle était redevenue grande, aussi grande que...

Mais bien sûr ! Ce n’était qu’un rêve ! Jamais elle n’avait rétréci, elle était toujours Écila, qui savait faire du vélo, dessiner, écrire, lire. Elle se leva d’un bond et dit à sa maman avec un grand sourire :
- J’ai bien dormi ! Mais maintenant, j’ai une de ces soifs ! Il nous reste à boire ?

Zoé regarda les bouteilles vides et soupira :
- Rien du tout, pas une goutte ! Il faudra attendre d’être rentrées à la maison. A moins qu’on ne trouve une fontaine quelque part...

La petite fille sentit son cœur battre très fort et elle répondit aussitôt :
- Ça ne fait rien ! Je préfère attendre qu’on arrive à la maison. Il faut faire attention avec l’eau des fontaines, tu sais...