MAIS POURQUOI TANT DE LAINE ?
Une quatrième de couverture tapageuse (« best-seller en Allemagne et en Italie, acheté par tous les grands éditeurs du monde »), un bout de laine collé sur le dessin d’un mouton, un éditeur pas vraiment audacieux (NiL), a priori, ce Qui a tué Glenn ? n’a rien pour plaire. Le genre de livre tape-à-l’œil sur une table de libraire et qui risque l’abandon au bout d’une dizaine de pages. Autant dire que Leonie Swann, une jeune Allemande de trente ans dont c’est le premier roman, a tout intérêt à ferrer son lecteur vite fait et à ne plus le lâcher.
380 pages plus loin, en toute honnêteté et compte tenu des réticences initiales, il ne reste qu’à saluer le tour de force. Un polar de style britannique autour de la mort brutale d’un berger irlandais, pourquoi pas après tout ? Sauf qu’ici, les héros ont beau s’appeler Miss Maple, Othello, Sir Ritchfield ou Mopple, ils n’en passent pas moins leur journée à brouter de l’herbe à souris, de l’avoine ou de l’herbe à sucre. Quoi de plus normal, puisque ce sont des moutons ? Mais pas n’importe quels moutons : quand leur bon berger George Glenn, qui prend soin d’eux et qui leur lit des histoires, est retrouvé mort, une bêche plantée dans le ventre, les ovins veulent en savoir plus. Et notamment qui est le meurtrier.
Au début, la bêche fait office de suspect numéro un. Mais il faut vite se rendre à l’évidence : jamais un tel outil n’aurait agit seul. Il faut donc trouver le complice. Et le mobile. D’autant qu’au village de Glennkill, d’étranges personnages s’intéressent à la cabane de George, et à son troupeau : un prêtre fanatique, une vieille fille bigote, une femme en rouge qui sent bon, et, comble de l’horreur, un boucher. Autant dire, un criminel en puissance.
Bien sûr, on pense assez vite à La ferme des animaux, de George Orwell, et puis on l’oublie. A travers la rebellion des cochons qui tourne en dictature du prolétariat fermier, Orwell ne faisait rien d’autre qu’un procès cinglant du stalinisme agonisant. Le propos de Leonie Swann est ailleurs : c’est plutôt un exercice de style, très réussi, avec un parti pris narratif culotté : se mettre vraiment à la place d’un mouton, avec ses désirs, ses craintes ancestrales et sa vision du monde. Les humains, on s’en doute, n’en sortent pas grandis. Sauf George le berger, mais lui, il est mort... Comme dans les bons polars, on se fiche de savoir qui a tué Glenn, même si le fin mot de l’histoire ne manquera pas de surprendre. Mais plus jamais on ne regardera un mouton comme avant.