Un fugitif intant de bonheur

Robert Capa, la collection Une monographie de Richard Whelan - éditions Phaïdon

, par Bruno

Dans un livre consacré à l’œuvre photographique de Robert Capa - qui a servi de modèle au personnage de Boro - j’ai découvert un cliché bouleversant pris à Barcelone, à la fin de la guerre d’Espagne. Un fugitif moment de bonheur avant le désastre...

Dan Franck et Jean Vautrin ne s’en cachent pas : celui qui leur a inspiré le personnage de Blèmia Borowicz, dit Boro, c’est le photographe Robert Capa. Né à Budapest en 1913, il a couvert le Front Populaire, la Guerre d’Espagne, le débarquement de Normandie, la chute de Berlin, avant de trouver la mort en Indochine en 1954, quelques semaines après la chute de Dien Bien Phu.

Publié en 2004, l’énorme recueil de Richard Whelan présente 937 clichés sur les 70 000 que le fondateur de Magnum a réalisé en vingt ans de carrière. On y retrouve évidemment les plus connues, comme L’homme et la guerre, où l’on voit le républicain Federico Borrell Garcia fauché par une balle, ou celles du débarquement à Omaha Beach, le 6 juin 1944. Mais les plus émouvantes, à mes yeux, sont celles du Front populaire, prises en mai-juin 1936, ces foules au poing levé dans lesquelles transparaissent à la fois la détermination, l’espoir et sans doute aussi le sentiment que tout cela ne durera pas.

La plus poignante, c’est celle que Robert Capa a faite en janvier 1939, à Barcelone. La capitale de la Catalogne est sur le point de tomber aux mains des troupes franquistes. Les civils commencent déjà à évacuer la ville pour rejoindre la frontière française. Cette photo (ci-dessous) montre des enfants bouche grande ouverte, captivés par ce qu’ils regardent. La légende dit ceci :
« Avant d’être évacués de la ville, des enfants assistent à un spectacle de clowns ».

Cette photo incarne le cœur même de la résistance. Que des adultes aient pris l’initiative d’offrir quelques minutes de bonheur à ces enfants qui ont déjà connu la guerre et qui vont être jetés sur les routes, qui vont connaître les camps de réfugiés sur les plages françaises, c’est à la fois prodigieux et bouleversant.
Le quart inférieur de la photo est dévoré par une bande noire, comme un symbole de l’obscurité qui monte et qui va aspirer un fragile et essentiel moment de répit.