C’est une sorte de Robinson Crusoe qui tourne mal. Dans le roman de Defoe, l’isolement de Robinson sur une île déserte est l’occasion d’une reconstruction, d’une sorte de renaissance dans un paradis perdu, loin d’une humanité déchue. Dans celui de David Vann, traduit en français par les éditions Gallmeister en 2010, c’est le contraire. Sukkwan Island, au large de l’Alaska, est déserte et sauvage, mais elle n’offre aucun secours à l’homme qui veut s’y installer avec son fils de 13 ans pour y vivre une année, comme des trappeurs.
Entre les ours, les saumons et les moustiques, Jim, dentiste et divorcé, et Roy, qui mesure très vite à quel point il a eu tort d’avoir accepté, c’est un huis clos mortifère qui s’installe. Il faut retaper une cabane, mais dans un milieu aussi hostile que celui de l’Alaska (le vent, la pluie incessante, le froid, la neige), mieux vaut être organisé, bien outillé et très rigoureux. Tout ce que n’est pas Jim, trop fragile pour reconnaître qu’il s’est trompé et trop vaniteux pour faire marche arrière pendant qu’il est encore temps.
Très vite, l’aventure tourne au cauchemar. Alors que le séjour entre le père et le fils, qui a grandi loin de lui, devait être l’occasion d’un rapprochement et d’une réconciliation, c’est l’adolescent qui doit prendre en charge l’adulte et ses crises de larmes à la tombée de la nuit. Quand l’hydravion du ravitaillement arrive, juste avant que l’hiver ne s’installe, on se dit que c’est la dernière chance pour que l’histoire ne devienne pas une tragédie. Mais la chance est passée, l’hydravion repart.
On ne dévoilera pas la suite sinon qu’il s’agit pour David Vann d’exorciser un drame familial en inversant les rôles. Et que dès lors que la funeste décision de rester est prise, il n’y a plus d’issue possible. Sukkwan Island n’est pas le point de départ d’une autre vie mais le lieu où tout s’achève, dans une nature inchangée depuis des millénaires et indifférente aux failles de l’âme humaine.