Brooklyn follies paul auster - éditions actes sud

, par Bruno

RIEN NE SE PERD, TOUT SE TRANFORME

L’héritage qui sauve, la filiation rompue, les pseudonymes à tiroirs, les voies mystérieuses du hasard et la géographie humaine de New York, il y a tout ça dans le dernier roman de Paul Auster. Ceux qui ne connaissent pas Le conte de Noël d’Auggie Wren, ou son adaptation au cinéma dans Smoke - et sa variante quasi-documentaire Brooklyn Boogie - découvriront avec bonheur le plus vivant des quartiers new-yorkais. « Elle entendait parler espagnol et coréen, russe et chinois, arabe et grec, japonais, allemand et français, et loin de se sentir intimidée ou perplexe, elle exultait devant cette variété de sons humains. » Et comme d’habitude, Auster recycle des projets d’histoire. Alors que Smoke était au montage et bien avant la publication de Tombouctou, il affirmait [1]travailler depuis plusieurs années à un roman intitulé Jours de rêves à l’Hôtel Existence. Il aura fallu attendre plus de dix ans pour retrouver trace de ce fameux hôtel, à la 125ème page de Brooklyn Follies dans tout le 19ème chapitre.

Moins maîtrisée, plus dispersée que dans Leviathan, Moon Palace ou Le livre des illusions, la narration noue et dénoue les fils complexes des relations humaines, qu’elles soient familiales ou de voisinage. On y croise un faussaire en manuscrits anciens (dont un de l’auteur de la Lettre écarlate, Nathaniel Hawthorne, à qui Auster a consacré un livre en 2003) [2], un jamaïcain travesti, un illuminé de la parole divine, une JMS (jeune mère sublime) et une curieuse petite fille réfugiée dans un inexplicable silence. En toile de fond, on entend aussi la chronique du calamiteux tournant du siècle aux Etats-Unis, de la campagne pour les élections présidentielles de 2000 au 11 septembre.

Brooklyn Follies - qui comme toujours avec les romans de Paul Auster nécessite une deuxième lecture pour en faire le tour - est aussi traversé par de magnifiques moments de générosité, d’attention aux autres, de gestes désintéressés. On retrouve encore, à la toute fin, une idée étonnante dans le droit fil de ce qu’Auster a fait il y a cinq ans dans Je croyais que mon père était Dieu, un recueil d’histoires étranges vécues et racontées par des gens ordinaires. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme...

Notes

[1Le Mondes des livres du 3 février 1995

[2Hawthorne en famille suivi de Vingt jours avec Julian et Petit Lapin, selon papa, éditions Actes Sud