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Chronique des jours à venir

Ecrit en 1997, ce roman du Canadien Ronald Wright nous plonge brutalement dans l’Angleterre de 2500. Le résultat, projections probables des tendances déjà à l’œuvre, est un petit bijou d’humour très noir en forme d’avertissement.

Dans la jungle, terrible jungle...

Et si la machine à explorer le temps de ce bon vieux Herbert George Wells (HG pour les intimes) existait vraiment ? Et si elle avait été empruntée par l’amante de l’écrivain, mettons fin 1899, pour un bon dans le temps qui l’aurait amenée quelques jours avant l’an 2000 ? Et si un jeune anthropologue — consumé d’amour pour une femme qui vient de mourir d’une maladie des temps modernes (Kreutzfeld-Jacobs) et qui l’a probablement contaminé — décidait lui aussi de faire le grand saut un demi-millénaire plus tard ?

C’est à cette série d’hypothèses que répond, avec un humour très british (on pense souvent à David Lodge, voire à JG Ballard de Millennium People), le Canadien Ronald Wright. Dans Chronique des jours à venir (très beau titre, d’ailleurs, plus poétique que A scientific romance), la machine de Wells est avant tout un véhicule narratif, une irruption incongrue de la fin du XIXème siècle de Jules Verne dans la fin du XXème qui, à bien des égards et malgré un bric-à-brac technologique, se préparait à un grand bond en arrière.

Les treize années qui nous séparent de la sortie du roman de Wright, avec leurs catastrophes climatiques, sanitaires et humaines, sans même parler de l’éclatement de la bulle spéculative au début 2000 et de la mégacrise financière de 2008, n’ont fait qu’amplifier cette ambiance délétère et morbide qui colore toute la première partie du livre.

Quand David Lambert s’extrait de la machine, il est exactement au même endroit (l’engin permet de voyager dans le temps mais pas dans l’espace), cinq siècles plus tard. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le Londres de 2500 ressemble encore moins à celui de l’an 2000 que celui-ci ne ressemblait à celui de 1500. La jungle a tout envahi, la Tamise a noyé les berges, il fait une chaleur tropicale et la grande tour de Canary Wharf (235 mètres) sert de refuge aux oiseaux et les bêtes sauvages.

A la vision poético-exotique d’un Londres tropical s’oppose la solitude totale de David Lambert. Le sud de l’Angleterre est en effet vide de toute présence humaine, et rien ne permet de comprendre ce qui s’est passé. La seule compagnie du naufragé de l’an 2000 est une panthère noire qu’il baptise Graham. Pourquoi Graham ? Et pourquoi pas ?

Dans un roman traversé par des pensées de Shakespeare, Yeats, Jünger, Wilde, Rilke ou encore Derrida sur les questions du temps et de la civilisation, la phrase la plus importante est sans doute celle de Miguel de Unamuno : « le temps est peut-être un fleuve qui prend sa source dans l’avenir ». En tout cas, en littérature, décrire un futur possible permet surtout de parler d’un présent bien certain.

La vision de Ronald Wright, qu’on ne dévoilera pas plus ici, est des plus sombres. Après l’âge du fer viendra l’âge de la ferraille, constate-t-il en racontant les lambeaux de la civilisation industrielle, cinq cents ans plus tard. Dans un recueil de conférences qu’il a faites en 2004, A short history of progress (traduit en français aux éditions Naïve sous le titre La fin du progrès ?), l’historien et archéologue de formation qu’il est constatait, en disant que nous pouvons encore résoudre les fléaux de l’humanité, mais que le temps presse : « Notre dernière chance de réussir l’avenir, c’est maintenant ».

Ecouter Ronald Wright dans une de ses conférences sur le site de l’Inrap en 2006.

Sur le même thème de la disparition des civilisations, lire également mon article sur Effondrement de Jared Diamond, ainsi que Homo Disparitus d’Alan Weisman (article à venir).