Eclore

un roman graphique d’Aude Mermilliod - éditions Casterman

Trente-huit années de la vie d’Aude et du rapport à son corps de femme, avec ses changements, ses traumatismes et ses explorations. Un somptueux travail graphique et biographique.

Quand, comme moi, on lit une BD classique beaucoup trop vite, le roman graphique est un vrai bonheur. Un bon gros pavé de 250 ou 300 pages qui promet une immersion dans le récit et dans le dessin, avec ses changements de rythme, de format et de couleurs.

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Aude Mermilliod vient de sortir éclore, un superbe album chez Casterman, dont la couverture est déjà une promesse. Comment on parvient à devenir ce que l’on est vraiment, au-delà des attentes, des projections, des peurs et des blessures. Car évidemment, au départ de éclore, il y a des humiliations auprès des garçons, les injonctions du corps qui se transforme (« chaque bout de moi était un projet ») et… un viol à quatorze ans infligé par un garçon plus âgé qu’elle. Autrefois, on aurait parlé de rapport forcé, non consenti, mais c’est un viol.

La précision, la lucidité et la puissance avec laquelle elle revient sur ce moment qui aurait pu détruire sa vie, c’est bouleversant, mais pas seulement. Ça pose plein de questions, sur nos propres expériences, nos propres manières, notre propre capacité à être à l’écoute de l’autre. C’est un miroir tendu aux lecteurs masculins (même si ce n’était peut-être pas l’intention), et une ode (sans jeu de mots, mais un peu quand même) à la puissance des femmes, incarnée au milieu du récit par une panthère vengeresse et libératoire.

Au-delà du récit, puisque c’est un roman graphique, il y a le dessin. Comme Emma, Aude Mermilliod a souvent dit qu’elle ne savait pas dessiner (sans doute parce qu’on lui a dit). Et pourtant, son dessin va de la ligne claire la plus classique à la mise en page éclatée (qui rappelle, évidemment, celle de JeanLouis Tripp) en passant par des effets de lumière et de couleurs particulièrement expressifs, ou cette image récurrente d’une petite tige qui s’enracine, qui devient plante, arbuste et finalement un arbre resplendissant de volume et de couleurs, mais toujours avec un plan en coupe qui montre autant l’extérieur, à l’air libre, que l’intérieur, sous la surface du sol. Dedans, dehors, soi-même et les autres : éclore.

P.-S.

Aude Mermilliod était l’invitée le 30 octobre 2024 de l’émission de Daniel Schneidermann, Sur la planche, diffusée par Arrêt sur Images (accès réservé aux abonnés).