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Rage against the machisme

L’histoire des luttes des femmes pour leurs droits, c’est quand même plus intéressant (et plus fiable) quand elle est racontée par Mathilde Larrère que par Léa Salamé…

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Vous la connaissez sûrement si vous êtes habitué·e de l’émission Arrêt sur Images, où ses rappels historiques sont autant de friandises pédagogiques.

Vous l’avez peut-être aussi croisée sur Twitter où ses threads (qu’on pourrait traduire par fils de discussion) sur l’histoire cartonnent, comme celui-là par exemple, où elle revient en 58 tweets sur le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 :

En août dernier, paraissait son cinquième livre, Rage against the machisme, quasiment en réponse (même si c’est une coïncidence éditoriale) à Femmes puissantes de Léa Salamé, pour qui les grandes figures féminines de l’histoire (hormis Jeanne d’Arc) ne sont pas assez présentes dans les livres. Mais aux héroïnes de Salamé répondent les révolutionnaires beaucoup moins connues de 1793, celles de 1848 ou de 1871.

Pour ce grand voyage historique (Larrère est spécialiste de l’histoire des révolutions au 19ème siècle), le point de départ se situe juste avant le confinement du printemps dernier, le 7 mars 2020. Mathilde Larrère décrit une manifestation féministe radicale et joyeuse, qui finira gazée par la police, certaines étant traînées au sol, tirées par les cheveux, dans le plus pur style de ce quinquennat maconiste décidément très novateur.

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Contre la terminologie courante de troisième vague du mouvement féministe (la première datant du début du vingtième siècle avec les suffragettes et la deuxième se situant au début des années 1970), Larrère situe le début de la lutte des femmes bien avant, à la Révolution française. Et explique les raisons de cet oubli, si tant est que ça en soit un : ce sont des hommes qui, pendant longtemps, ont écrit et enseigné l’histoire des hommes, au sens de l’espèce humaine évidemment, mais dans laquelle les femmes étaient absentes. Comme le disait le philosophe François Poullain de La Barre à la fin du 17e siècle, « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie. »

Il faut attendre le début des années 1970, soit près de deux siècles après les lois de 1791 et 1792 sur l’héritage, pour que quatre femmes deviennent professeures d’histoire à l’Université. Et conjointement à la naissance du MLF, l’histoire commence à s’intéresser aux femmes, mais aussi aux catégories dominées comme les pauvres, les immigrés ou les homosexuels, et aux relations entre ces catégories.

Puis on a étudié le genre au-delà du sexe, puis on s’est mis à parler d’intersectionnalité, c’est-à-dire à combiner les différentes formes de domination (genre, race, classe). « Longtemps aussi, les histoires de femmes ont négligé les situations coloniales, cependant que les histoires de la colonisation ne posaient pas la question des femmes. »

Mais ce n’est pas une évolution linéaire allant d’un point A (ignorance de la place des femmes dans l’histoire) à un point B (reconnaissance pleine et entière) : « les derniers programmes du lycée en date marquent un recul dénoncé par les associations d’historiennes du genre […] Les attaques contre la place des études de genre à l’Université, contre l’intersectionnalité comme démarche, sont sorties du pré carré de l’extrême droite pour gagner plus largement. »

Même si on sait (plus parce qu’on l’a lu que parce qu’on nous l’a enseigné, d’ailleurs) que jusqu’à très récemment, les femmes étaient considérées comme mineures par la loi, certains passages font froid dans le dos. Notamment ceux relatifs au Code pénal napoléonien, une honte absolue. L’article 324, baptisé « article rouge » et promulgué en 1810, légalise carrément le meurtre au sein du couple : « Dans le cas d’adultère, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. » Il sera abrogé en… 1975. Il faudra attendre 1990 pour que le viol entre époux soit condamné, et 2010 pour que des lois soient votées sur les violences faites aux femmes.

L’originalité du livre, c’est qu’il est découpé en chapitres courts, illustré par le dessinateur Fred Sochard et par de très nombreuses citations, chansons, slogans et graffitis. Mention spéciale à « La révolution sera féministe ou ne sera pas », ou à « De ce que la gestation se fait dans l’utérus et non dans la prostate, je ne vois pas que l’on puisse conclure à l’impossibilité pour est pourvu d’un utérus, de voter ou d’être élue. » ou encore au très récent « Vous n’éteindrez pas les jeunes filles en feu ».