télécharger l'article au format PDF

Second manifeste convivialiste

Sept ans après une première version, voici le résultat du travail de 300 personnalités de 33 pays différents. L’objectif ? Elaborer une philosophie politique concurrente au néolibéralisme triomphant qui mène le monde à la catastrophe.

Publié en février 2020, ce livre court (142 pages) est arrivé alors que la pandémie de Covid commençait à prendre de l’ampleur en Europe, et quelques semaines avant le confinement qui a isolé à la maison des centaines de millions de personnes. Parler de convivialisme alors que les mesures décidées brisent tout principe de convivialité au nom de la lutte contre l’épidémie (confinement, distanciation sociale, télétravail, restriction des visites dans les Ehpad...) pourrait paraître anachronique. Il n’en est rien. Qu’on se souvienne que le programme Les Jours Heureux, élaboré par le Conseil National de la Résistance, a vu le jour pendant les heures les plus sombres du siècle dernier, en pleine occupation allemande et au plus fort de la Seconde guerre mondiale. « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière », avait écrit Edmond Rostand. Va pour le convivialisme, donc.

JPEG - 97.4 ko

Ce qui se définit comme une philosophie alternative au néo-libéralisme (et pas au capitalisme en général, d’où une certaine distance prise par des penseurs de la gauche radicale, ou des figures de la France Insoumise. Pas de Frédéric Lordon ou de François Ruffin parmi les 300 signataires initiaux [1] part d’un constat : il existe actuellement un mouvement de fond de la jeunesse du monde, ou plus précisément de trois jeunesses différentes : celles des pays frappés par des conflits et qui sont contraints à l’exil, celles qui se soulèvent contre des régimes dictatoriaux, et celles qui se mobilisent pour le climat, essentiellement dans les pays riches. « Voilà trois jeunesses, donc, qui s’ignorent largement. Leurs combats, leurs espérances sont pourtant indissociables. Ces trois jeunesses gagneront ensemble ou elles perdront ensemble ».

Dans un monde plus que jamais au bord de l’effondrement, miné à court terme par la pandémie de Covid, ses centaines de milliers de victimes et ses dizaines de millions d’emplois détruits, et à (un relatif) moyen terme par le changement climatique, le convivialisme vise à définir « un fondement durable à la fois éthique, économique, écologique et politique ». Mais que veut dire exactement convivialisme ?

« C’est le nom donné à tout ce qui, dans les doctrines et les sagesses existantes ou passées, laïques ou religieuses, concourt à la recherche des principes permettant aux êtres humains à la fois de rivaliser pour mieux coopérer et progresser en humanité dans la pleine conscience de la finitude des ressources partagées et dans le souci partagé du soin du monde. »

Plus concrètement, il s’appuie sur cinq principes fondateurs : la commune naturalité (respect et soin de la nature), la commune humanité (au-delà des différences de couleur de peau, de langue, de religion, d’orientation sexuelle), la commune socialité (richesse des rapports sociaux), la légitime individuation (permettant à chacun de développer ses capacités) et l’opposition créatrice (en mettant la rivalité au service du bien commun).

Mais l’originalité et l’intérêt du convivialisme, c’est de poser un impératif au-dessus de ces 5 principes : la maîtrise de l’hubris, c’est-à-dire l’absence de limites, la démesure, la soif de toute-puissance. L’inconvénient, c’est que l’hubris est l’un des moteurs du capitalisme, avec la pléonexie, c’est-à-dire l’avidité.

Il s’agira donc, pour les promoteurs du convivialisme, d’éradiquer les paradis fiscaux, de plafonner les hauts revenus, d’imposer une durée minimale de détention des actions de mettre en place un revenu universel, d’ouvrir le droit à un temps de travail choisi (et donc réduit), de viser un objectif triple zéro (émissions de gaz à effet de serre, consommations d’énergies fossiles, déchets hautement toxiques) et aller vers une démarchandisation, c’est-à-dire mieux satisfaire les besoins avec moins de marchandises et moins d’argent.

Comment réaliser tout cela sans sortir du capitalisme, ce que ce manifeste ne propose pas (il dénonce le néolibéralisme et le capitalisme rentier et spéculatif) ? Vaste question, apparemment hors champ ici, alors qu’elle est pourtant centrale. C’est un autre débat, certainement nécessaire.

[1On y trouve Susan George, Noam Chomsky, Chantal Mouffe, Pablo Servigne, David Graeber, Edgar Morin, Hervé Kempf)mais aussi le PDG de Danone..