Le hasard a fait que ce livre m’a été offert le 6 octobre, un mois avant l’élection présidentielle aux Etats-Unis, et que je l’ai fini quelques jours après cette dernière. Et bien sûr, comme souvent, la réalité dépasse la fiction. Stephen Markley a commencé à écrire Le Déluge en 2013, date qui figure dans le titre du premier chapitre du livre, Les changements de phase des hydrates de méthane. Non, ce n’est pas un article de Reporterre (site hautement recommandable, même si sa lecture régulière est bien plus effrayante que bien des films d’horreur), car ceux-ci ne font pas mille pages. Mais bien le point de départ d’une histoire qui va se dérouler sur un quart de siècle, jusqu’en 2039, et dont on est à un peu moins de la moitié.
Il est impossible de résumer une somme pareille, ni même de la qualifier précisément. Ce n’est pas vraiment de la science-fiction, c’est même partiellement de la fiction puisqu’on y croise de nombreux personnages bien réels. Les éléments scientifiques, dont les fameux hydrates de méthane, sortes de bombes à retardement placées dans les fonds sous-marins et très sensibles à la hausse des températures, sont parfaitement documentés. Et les phénomènes météorologiques extrêmes, qui dévastent des régions entières des Etats-Unis en les rendant inhabitables, ne sont que de l’existant une fois les curseurs poussés au maximum.
Mais ce qui fait la richesse du Déluge est moins sa veine catastrophiste — même si elle est d’autant plus effrayante que chaque mégafeu et chaque rivière atmosphérique (comme celle qui a frappé cet automne une partie de l’Espagne) est comme un avant-goût de ce qui nous attend — que sa dimension politique. Car à la dégradation accélérée du climat répond une fuite en avant fasciste de la classe politique étatsunienne, qui réprime les mouvements sociaux de plus en plus radicalisés (avec une version géante d’Occupy Wall Street sur le Mall de Washington) par une violence armée débridée, soutenue par des milices d’extrême-droite en roue libre. Le tout dans un contexte de surveillance généralisée et d’IA incontrôlables.
Vous trouvez que ça fait beaucoup ? Et pourtant. J’étais arrivé dans le dernier cinquième du livre quand Trump a été réélu, une hypothèse que Stephen Markley n’avait même pas envisagée. J’avais refermé l’ouvrage depuis quelques jours quand l’escalade nucléaire entre la Russie et l’Otan a pris une dimension peut-être irréversible. Le roman se termine en 2039, soit dans une quinzaine d’années. Quelle quantité de cataclysmes, militaires et climatiques, allons-nous endurer d’ici-là ? D’une certaine manière, on peut même considérer que Le Déluge est un livre plutôt optimiste. Et c’est ça le plus inquiétant.