Longtemps introuvable en librairie, Histoire d’un crime a été réédité fin 2009 par les éditions La Fabrique. Et le moment est plutôt bien choisi. En effet, ce livre-témoignage de Victor Hugo, bien moins connu que Napoléon le Petit dans lequel il étrille le neveu de l’Empereur, ne se contente pas de raconter dans le détail la résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851. Il décrit ce que la politique peut générer de plus laid, de plus bas, avec ses intrigues de cour, ses lâchetés en cascade, ses opportunistes, ses aquoibonistes et ses affairistes. Mais aussi ses pulsions criminelles avec cette incroyable chasse aux parlementaires dans les rues de Paris, et pour finir, ce massacre du 4 décembre qui fera près d’un millier de victimes dans la population civile, femmes, vieillards et enfants compris.
Comme Napoléon le Petit, Histoire d’un crime n’était plus disponible en français, hormis dans les œuvres complètes. C’est donc Jean-Marc Hovasse, jeune biographe de grand talent de Victor Hugo [1], qui est à l’origine de ces rééditions (Napoléon le Petit en 2007 chez Actes Sud, Histoire d’un crime fin 2009 chez La Fabrique). Il aurait été dommage de passer à côté de ce texte magnifique qui mêle le témoignage direct (Hugo est député fin 1851 et est recherché lors du coup d’Etat, où il appelle ouvertement à l’insurrection), le récit historique (le livre est publié 25 plus tard, en 1877) et le souffle romanesque avec toutes les techniques du récit de fiction.
Evidemment, Hugo, dont la modestie n’est pas la plus grande qualité, se montre à son avantage quand à deux reprises il apostrophe les soldats dans la rue, au risque de se prendre une balle. C’est lui aussi qui cosigne des affiches proclamant, au nom de l’Assemblée républicaine, la destitution de Louis-Napoléon. Il échappera à la souricière en s’exilant en Belgique (puis à Jersey).
Hugo profite d’Histoire d’un crime pour régler ses comptes férocement avec les députés de droite, amis de l’ordre (Hugo, quant à lui, a écrit sur les prisons et contre la peine de mort) et enfermés quelques jours après le coup d’Etat :
La Providence, en mettant les législateurs à Mazas, a fait un acte de bonne éducation. Mangez votre cuisine, il n’est pas mauvais que ceux qui font les prisons en tâtent.
La réflexion, qui n’a rien perdu de sa pertinence, pourrait s’appliquer aujourd’hui à certains ministres qui n’ont que la répression à la bouche.
Car Histoire d’un crime, alors que Napoléon III est en pleine réhabilitation (notamment par les politiques de droite), est d’une actualité évidente. Dans ses notes très documentées, Guy Rosa esquisse un parallèle entre le coup d’Etat bonapartiste et le pustch de Pinochet contre Salvador Allende le 11 septembre 1973. On peut aussi y retrouver des choses familières.
Occupé par Napoléon Ier au début du siècle, le palais de l’Elysée devient résidence du premier président de la République, Louis-Naopléon Bonaparte en 1848. Hugo fait du lieu une description terrible en microcosme de la médiocrité :
L’Elysée a engendré des catastrophes et des ridicules [...] Dans ce lieu mauvais on était petit et redoutable. On était en famille, entre nains. C’est là que se construisait avec art, intention, industrie et volonté, l’amoindrissement de la France. [...] C’est là qu’ont été, pendant vingt ans, mises à la mode toutes les bassesses, y compris la bassesse du front.
Là aussi, cent soixante ans plus tard, rien n’a changé visiblement.
Cette cour était une collection ; étagère de bassesses ; ménagerie de reptiles ; herbier de poison [...] Certaines occasions voulaient du renfort ; quelquefois c’étaient des femmes : l’escadron volant.[...] Il y avait Lacrosse, libéral passé clérical, un de ces conservateurs qui poussent l’ordre jusqu’à l’embaumement et la conservation jusqu’à la momie. [...] Il y avait des Auvergnats. Deux. Ils se haïssaient. Un avait surnommé l’autre « le chaudronnier mélancolique ».
Des Auvergnats, tiens.
Il y a beaucoup d’autres passages aussi savoureux que ceux-là dans Histoire d’un crime, qui ne manque jamais d’humour et d’ironie. Mais il y a bien sûr des scènes terribles, des chasses nocturnes dans les rues de Paris, des barricades défendues avec l’énergie du désespoir face à une armée suréquipée (et qui rappelle les combats de rue de la Résistance contre l’occupant) et bien sûr l’invraisemblable massacre du 4 décembre sur les grands boulevards, quand la troupe ouvre le feu sur la foule. Ce que Hugo décrit comme un crime contre l’humanité.
Brusquement une fenêtre s’ouvrit. Sur l’enfer. [...] Il n’y eut plus de drapeau, il n’y eu plus de loi, il n’y eut plus d’humanité, il n’y eut plus de patrie, il n’y eut plus de France ; on se mit à assassiner.
Hugo laisse éclater son indignation face à ce qui ressemble clairement à du terrorisme d’Etat, avec une rage froide qui pèse chaque mot :
Le fait du 4 décembre est le plus colossal coup de poignard qu’un brigand lâché dans la civilisation ait jamais donné, nous ne disons pas à un peuple, mais au genre humain tout entier. [...] C’est le flambeau de justice, de vérité et de vie, retourné et éteint.
Exceptionnel témoignage historique et littéraire, d’une valeur équivalente à l’Histoire de la commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire d’un crime donne envie de lire ou de relire Hugo, notamment Napoléon le Petit ou Châtiments, écrits en 1852 et 1853. La remarquable préface de Jean-Marc Hovasse ouvre pour sa part la voie aux deux premiers tomes de sa biographie [2]. Histoire d’un crime est un livre passerelle, un livre boussole planté au cœur du dix-neuvième siècle où certains voudraient bien renvoyer la société française.