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L’impossible neutralité

En avril prochain, Howard Zinn aura 86 ans. Autant dire qu’il a traversé le siècle presque de bout en bout, de la Grande dépression des années trente à la guerre contre le terrorisme du début du troisième millénaire. Le récit de ses luttes, notamment pour les droits des Noirs et contre la guerre du Vietnam, est un modèle de courage, de lucidité et de modestie. A lire d’urgence.

« Vous ne pouvez pas rester neutre dans un train en marche » : la traduction fidèle du titre original de l’autobiographie d’Howard Zinn (you can’t be neutral on a movie train) est probablement meilleure que ce fade L’impossible neutralité. Peu importe. Après la monumentale Histoire populaire des Etats-Unis, et Nous, le peuple des Etats-Unis, les éditions Agone nous ont offert le troisième volet des principaux textes militants d’Howard Zinn, l’intellectuel radical contemporain le plus important avec Noam Chomsky. Tous deux ne sont certes plus très jeunes (86 ans pour le premier, 79 pour le second), mais lire leurs textes est indispensable à quiconque ne veut pas désespérer des Etats-Unis.

L’histoire d’Howard Zinn, fils d’immigrés juifs, grandi dans la misère à Brooklyn, est complètement imbriquée dans celle de son pays : il a grandi pendant la Grande dépression, a connu le New Deal de Franklin Roosevelt [1], s’est engagé comme bombardier à la fin de la Seconde guerre mondiale [2], a été nommé professeur à l’université – noire – Spellman en Géorgie, dans les années 50, a combattu sans relâche l’engagement militaire au Vietnam dans les années soixante, allant même écrire un discours pour Lyndon Johnson.

Zinn raconte ainsi le combat terrible pour les droits civiques, à une époque, pas si lointaine, où régnait dans le sud des Etats-Unis une ségrégation proche de l’apartheid sud-africain. Sans répit, il s’est battu, contre sa hiérarchie enseignante, contre les représentants de l’ordre (shérifs racistes, juges remplaçant les lois fédérales par des lois coutumières, agents du FBI indifférents) et bien sûr contre la police. Plusieurs fois, il a été conduit en prison pour de courtes durées, suffisantes pour savoir de quoi il parle quand il évoque le système carcéral. Il nous fait aussi et surtout partager le courage et la détermination de ces militants inconnus qui ont osé défier, au risque de leur vie, un ordre économique et communautaire qui ne voulait pas d’eux.

Même s’il avoue sa sympathie pour le candidat de la gauche radicale Ralph Nader, Howard Zinn vivra peut-être assez longtemps pour assister à une chose tout bonnement inimaginable il y a cinquante ans : voir le fils d’un Noir kényan et d’une Américaine blanche devenir président des Etats-Unis. Si Obama est élu, Zinn ne lui fera sûrement aucun cadeau, n’en doutons pas. Mais quelque part, il aura remporté une victoire que l’on peut qualifier d’historique.

[1Il y consacre d’ailleurs une analyse extraordinaire en une vingtaine de pages, où il pointe les faiblesses, les incohérences et les contradictions qui ont limité la portée d’une vraie politique sociale, sans précédent et sans lendemain dans l’histoire étatsunienne

[2Il a notamment participé au bombardement de Royan en avril 1945, où fut expérimenté pour la première fois le napalm