On ne peut que l’apprécier, Mikael Blomkvist. Personnage principal de Millénium 1 Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, il a toutes les qualités : perspicace, déterminé, fonceur, sans idées préconçues et aimant les femmes, lesquelles le lui rendent bien. Mais il est un peu trop lisse pour devenir vraiment attachant, sans aspérités ni zones d’ombre.
Du coup, la vraie pépite de ce premier tome, c’est Lisbeth Salander. Sans aucun doute le personnage de polar le plus original de ces dernières années, au moins depuis l’étonnant Jim Chee, policier navajo tiraillé entre tradition et modernité dans les romans de Tony Hillerman. Lisbeth Salander, c’est l’incarnation moderne et la version adulte de Fifi Brindacier, l’héroïne créée par Astrid Lindgren en 1945 et devenue populaire dans le monde entier. Fifi Brindacier est toute petite (elle a neuf ans), mais elle n’a peur de rien, elle est dotée d’une force phénoménale et dispose d’un coffre rempli de pièces d’or.
Lisbeth Salander a vingt-six ans, elle mesure cent cinquante centimètres et pèse quarante-deux kilos. Personne ne la prend au sérieux, que ce soit lorsqu’elle entre dans une agence immobilière pour s’offrir un loft ou quand elle est menacée par deux bikers ventripotents bien décidés à s’amuser un peu avant de lui faire la peau. Et tout le monde a tort, car Lisbeth ne manque pas de ressources : financières tout d’abord, car comme Fifi, elle aussi a un coffre rempli de pièces d’or (plus exactement, un compte à Gibraltar lourd de trois milliards de couronnes, le fruit d’un étonnant tour de passe-passe informatique). Physiques ensuite : elle a servi de sparring partner dans un club de boxe où sa vitesse de mouvement et son sens de l’anticipation ont fait merveille. Intellectuelles enfin : dotée d’une mémoire photographique exceptionnelle, Lisbeth dénoue le théorème de Fermat en trois semaines, là où les mathématiciens se sont cassés les dents pendant trois siècles. Et elle peut pénétrer les réseaux informatiques les plus étanches, en créant notamment des copies miroir des disques durs qu’elle surveille.
La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette [1]est donc très largement centrée sur Lisbeth Salander, impliquée dans un double meurtre pour lequel elle fait office de suspecte idéale : enfant perturbée, asociale, placée dans une instiution psychiatrique, violente, proche des milieux lesbiens... Il ne reste plus à la police qu’à la cueillir et à classer l’affaire. Sauf qu’on n’attrape pas aussi facilement que ça Lisbeth Salander.
Comme dans le premier tome de Millénium, il est encore ici question des violences faites aux femmes, avec la mise à jour d’un réseau de prostitution à grande échelle entre la Suède et la Lituanie. Avant d’écrire ses romans, Stieg Larsson était rédacteur en chef d’une revue qui recensait les manifestations de fascisme ordinaire en Suède. Ses descriptions des rouages d’une rédaction et d’une enquête policière, avec ses fuites distillées en direction des médias, sont d’une vérité criante (et pas si différentes de ce qui se passe en France). Ce qui n’enlève rien à la fluidité et à la nervosité d’un récit qui réussit le pari d’un rythme enlevé sur une longue distance (575 pages pour le tome 1, 653 pages pour le tome 2).
Autant dire qu’on en redemande : le dernier volume de la trilogie, La reine dans le palais des courants d’air, sera édité par Actes Sud dans quelques mois (entre juillet et novembre, selon les sources). Ce sera aussi le dernier roman de Stieg Larsson, décédé d’une crise cardiaque en novembre 2004 après avoir remis les trois manuscrits à son éditeur. Il avait tout juste cinquante ans.