Capa, mais pas que

La valise mexicaine Un recueil de photographies de Taro, Capa et Chim - éditions Actes Sud

, par Bruno

En décembre 2007, le contenu de la fameuse valise mexicaine a enfin dévoilé ses secrets : 4500 négatifs de la guerre d’Espagne pris par Robert Capa, Gerda Taro et Chim. Magnifique et frustrant.

La valise mexicaine, qui n’est d’ailleurs ni une valise ni mexicaine, c’est d’abord une histoire qui pourrait avoir été écrite par un romancier de talent. En 1939 donc, Robert Capa, sentant la menace nazie s’approcher et craignant d’être interné par le gouvernement français en tant que sympathisant de gauche, cache des milliers de négatifs de la guerre d’Espagne et se réfugie aux Etats-Unis. Pendant les décennies qui ont suivi la mort de Capa en 1954, son frère Cornell a cherché en vain ce qu’on appela en 1995 la Valise mexicaine, les négatifs étant censés se trouver au Mexique, dans une valise.

Ces derniers finissent par être localisés en 2006 et rendus fin 2007, quelques mois avant le décès de Cornell Capa. Ils appartenaient alors à un cinéaste mexicain, Benjamin Tarver, les ayant lui-même hérité de sa tante, qui les tenait pour sa part du général Francisco Javier Aguilar Gonzalez, ambassadeur du Mexique à Vichy entre 1941 et 1942. Le Mexique était alors un pays socialiste qui accueillait nombre de réfugiés européens de gauche, comme notamment Victor Serge ou avant lui Leon Trotsky.

Une fois la valise retrouvée, il s’agissait de s’assurer que les 4500 négatifs noir et blanc que contenaient les trois boîtes étaient encore en bon état. C’était le cas (merci au climat sec et chaud du Mexique), mais dedans ne se trouvait pas le négatif le plus recherché de l’histoire de la photographie, celui de la photo la plus célèbre (et controversée) de Robert Capa, Mort d’un soldat républicain. En revanche, ces archives comportent des clichés magnifiques de Gerda Taro et de Chim (David Seymour), qui ont couverts pour l’hebdomadaire Regards le conflit espagnol.

L’histoire est passionnante, les photos remarquables, et pourtant cette Valise mexicaine déçoit. Publiée en français par Actes Sud à un prix très (trop) élevé (84 euros) dans un coffret cartonné, elle comporte deux tomes. Le premier, de 160 pages, raconte l’histoire de la valise et offre quelques clichés grand format, ainsi que des reproductions de magazines d’époque. C’est intéressant, mais la qualité moyenne du papier (mat et légèrement granuleux) ne met pas en valeur les photos. L’autre tome, de 430 pages, reproduit les 165 films retrouvés correspondant à 4500 négatifs, présentés sous la forme de planches-contact. Pourquoi pas, sauf que du coup les photographies sont minuscules et pas hiérarchisées puisque toutes de la même taille. Pas au format 24 x 36 d’origine, heureusement, mais en 36mm x 54mm, ce qui n’est pas grand.

Si on compare le rendu de ces planches avec celui du livre de Richard Whelan, Robert Capa la collection, édité en 2004 par Phaidon (pour 40 euros), le résultat est cruel. Autant le second met en valeur les 937 clichés choisis par Whelan et par Cornell Capa, en leur attribuant des dimensions différentes jusqu’à la pleine page, autant le premier est constamment frustrant. On voit bien quelques clichés particulièrement réussis, mais à cette taille ils disparaissent dans la page, rien n’attire l’œil. Les terribles clichés réalisés par Capa à l’hiver 1939 dans les camps de concentration dans lesquels la France républicaine (honte à elle) accueillit un demi-million de réfugiés espagnols auraient mérité un meilleur sort, d’autant qu’ils ne furent pas publiés par des magazines français de l’époque.

C’est d’autant plus dommage que les photos de guerre de Chim et de Gerda Taro sont vraiment extraordinaires, notamment les portraits du premier et les vues générales de la seconde. Le plus touchant est la série réalisée lors de la bataille de Brunete à la fin juillet 1937 par la jeune femme : des soldats qui font boire les chevaux, qui fument ou qui téléphonent. Et puis la guerre qui explose soudain : un camion en flammes, de la fumée, des soldats qui courent. Ce sont les derniers clichés de Gerda. Le 25 juillet, alors que l’armée républicaine se replie dans le désordre, elle est écrasée accidentellement par un char qui ne la voit pas. Elle meurt à l’hôpital le lendemain. Elle allait avoir vingt-sept ans.

Sa mort, alors qu’elle commençait à être reconnue comme une photographe majeure, ouvre en grand les portes de la célébrité à Robert Capa, qui était son amant depuis deux ans. De nombreuses photos d’elle lui seront attribuées, et l’un des mérites de cette Valise est de rétablir la vérité : en Espagne, il y avait trois très grands photographes travaillant pour la presse française : Robert Capa, né Endre Friedmann en 1913 à Budapest ; Chim, né Dawid Szymin en 1911 à Varsovie ; et Gerda Taro, née Gerta Pohorylle en 1910 à Stuttgart. Tous trois connaîtront une fin tragique et prématurée : Taro à Brunete en 1937, Capa en Indochine en 1954 (il sauta sur une mine) et Chim en Egypte en 1956 (tué par un mitrailleur).