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Les Anges de New York

Parfois, les apparences sont trompeuses : ainsi, ces dameux Anges de New York, super-policiers chargés de nettoyer la ville dans les années 70-80, sont-ils vraiment des héros ? Et Franck Parrish n’est-il qu’un flic alcoolo et incontrôlable ?

A l’ombre des jeunes filles en fleur

Tout comme Tony Hillerman, James Lee Burke ou Dennis Lehane, Roger Jon Ellory est en train de se faire un nom parmi les maîtres du polar américain. Comme eux, il a le don de raconter une histoire imprévisible, de dépeindre une époque et de ciseler des personnages forts. Mais, contrairement à eux, il n’inscrit pas ces histoires dans un lieu particulier. Hillerman décrivait à merveille les paysages de la grande réserve navajo, Burke nous plonge avec délice au cœur du bayou de Louisiane ou des forêts profondes du Montana, et Lehane nous entraîne dans les rues mal famées et bistrots sombres des quartiers pauvres de Boston.

Avec eux, l’atmosphère d’un lieu, ses bruits, ses couleurs, ses odeurs et ses vibrations profondes constituent quasiment le personnage principal. Ce qui ne les empêche pas de s’attacher à suivre Joe Leaphorn et Jim Chee pour le premier, David Robicheaux et Clete Purcell pour le deuxième et Patrick Kenzie et Angie Gennaro pour le dernier, des personnages que l’on retrouve d’un roman à l’autre comme de vieux amis un moment laissés sans nouvelles.

Rien de tout ça chez Ellory. Chaque roman met en scène des personnages différents, sans lien les uns avec les autres. Et le décor, celui des grandes métropoles américaines, est interchangeable et finalement peu décrit. Avec Ellory, ce sont les dialogues qui font avancer l’intrigue, ce sont à travers eux que les protagonistes se dévoilent.

Dans Les Anges de New York, il est donc question de la police new-yorkaise saisie à deux époques : la nôtre (en l’occurence l’année 2008) avec l’inspecteur du NYPD Frank Parrish, et les années 70-80, quand fut mise en place une brigade spéciale, le BCCO, Bureau du contrôle du crime organisé. Une brigade où s’illustra notamment John Parrish, père de Frank, dans une lutte sans merci contre la mafia.

Qui étaient vraiment ces Anges de New York, et comment se sont-ils comportés une fois oubliée la légende, c’est l’une des pistes du roman que l’on suit par le biais d’entretiens que Frank passe avec une psychothérapeute. Une des pistes, mais pas la principale : car il y a aussi l’enquête que mène Frank pour découvrir qui a tué plusieurs adolescentes retrouvées étranglées et ayant comme point commun d’avoir été adoptées.

Selon le principe des vases communicants, l’histoire des Anges de New York va progressivement laisser place à celle de Frank Parrish et de ses méthodes souvent à la limite de la légalité, parfois au-delà. Voilà ce qui arrive quand un flic fait d’une enquête une affaire personnelle qui lui permettra, s’il arrive à la résoudre, d’affronter enfin les fantômes du passé et de donner un sens à sa vie.

Le talent d’Ellory, c’est de partir d’archétypes (ici le flic solitaire, alcoolique et taciturne, incapable de respecter un minimum de règles et pour qui la fin justifie les moyens) et d’amener son histoire bien loin du point de départ, sans qu’il ne soit jamais possible d’anticiper sur son issue. Comme le dit Frank Parrish à sa thérapeute, « Parfois il ne faut pas se fier aux apparences. Et parfois les choses sont exactement ce qu’elles paraissent. » Une définition qui s’applique parfaitement aux Anges de New York, vrai-faux polar, fresque historique, roman psychologique, récit d’une noirceur extrême qui ne renonce pourtant pas à la lumière.