Les luttes et les rêves, une histoire populaire de la France

Un essai de Michelle Zancarini-Fournel, éditions Zones

On rêvait d’une version française de l’histoire populaire des Etats-Unis. Sans atteindre la qualité d’écriture d’Howard Zinn, Michelle Zancarini-Fournel raconte la France vue d’en bas, avec ceux qui se sont battus pour arracher des droits.

En 1980, l’historien américain Howard Zinn publiait un gros livre qui allait devenir un classique : son Histoire populaire des Etats-Unis [1] renversait la perspective habituelle avec ses grandes dates et ses grands hommes. A la place, il racontait l’histoire de son pays vue par ceux qui se sont battus : les classes populaires, les immigrants, les femmes, les Indiens, les esclaves. Publié en France en 2003 par Agone, ce travail allait rencontrer un énorme succès.

En le lisant, je m’étais dit qu’il serait passionnant de lire l’équivalent pour l’histoire de France. Une douzaine d’années plus tard, Michelle Zancarini-Fournel s’y est attelée avec courage et détermination. Le résultat, Les luttes et les rêves (éditions Zones, 994 pages, 28 euros), est à la hauteur de l’attente. Le style est certes moins percutant et plus neutre que celui de Zinn, mais ce n’est pas l’essentiel : une brèche est ouverte, d’autres s’y engouffrent déjà [2]

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Michelle Zancarini-Fournel est spécialiste d’histoire sociale contemporaine et a écrit une Histoire des femmes en France (PUF, 2005). Son livre, qui prend pour point de départ l’adoption du Code Noir et de la révocation de l’Edit de Nantes, en 1685, fait donc la part belle aux femmes, mais aussi aux peuples colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Outre-Mer, aux révolutionnaires, aux paysans, aux ouvriers, aux minorités ou aux Résistants.

Inverser la perspective

Comme l’a fait Howard Zinn, elle inverse la perspective et raconte une histoire des luttes et des rêves — la formule est de Victor Hugo, dans les Contemplations. Elle cite aussi l’historien britannique Edward P. Thompson, qui parlait « d’un travail de sauvetage de ce qui aurait pu se passer [...], un travail sur la mémoire et le pouvoir, sur tout ce que nous avons oublié ou qu’on nous a fait oublier ».

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Elle s’attache aussi, et c’est très méritoire, à ne pas confondre l’Histoire de la France avec celle de Paris. Son récit se déplace à Saint-Domingue en 1697, à Lyon en 1751, à Gallardon, petit village de la Beauce en 1788, à Bône (Algérie) en 1832, au Creusot en 1871, au Havre, en mai 1936 à l’usine Bréguet, à Champs (Puy-de-Dôme) en 1950 où apparaissent les premiers tracteurs.

Elle s’attarde enfin, et c’est logique, aux luttes des femmes, depuis les filles publiques de 1791 jusqu’aux révoltes de 2005 en banlieue parisienne, en passant par Mai 68 et la colère, désormais célèbre car filmée par des étudiants de l’IDHEC, d’une ouvrière des usines Wonder refusant de retourner au travail.


 

Les luttes et les rêves pourraient décourager, par l’incessante remise en cause des droits acquis et la nécessité, toujours, de les défendre et de les élargir. Le rejet massif d’une classe politique déconnectée du peuple et préoccupée par ses propres intérêts préfigure peut-être une époque nouvelle. Car, comme l’avance Michelle Zancarini-Fournel en conclusion, « l’histoire longue a toujours été peuplées de tentatives fragiles, éphémères ou utopiques, mais aussi parfois victorieuses, pour faire advenir d’autres mondes ».