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Les sentiers de la gloire

Stanley Kubrick a réalisé une bonne demi-douzaine de films qui ont marqué l’histoire du cinéma. Mais avec Les sentiers de la gloire, sorti pendant la guerre d’Algérie et interdit pendant 18 ans en France, il nous plonge dans l’enfer des tranchées sans complaisance ni illusion.

DANS L’ENFER DES TRANCHÉES

Interdit de diffusion sur les écrans français jusqu’en 1976, Les sentiers de la gloire marquent la rencontre cinématographique de Stanley Kubrick, âgé de trente ans, et de Kirk Douglas [1]. C’est d’ailleurs suite à ce film que le second fera appel au premier pour reprendre le tournage de Spartacus en 1960. La vision qu’il donne de l’armée française lors de la première guerre mondiale est pour le moins peu flatteuse : incompétence du commandement, ineptie du conseil de guerre, jeux de pouvoir et recherche de boucs émissaires en cascade aboutissent à la fusillade pour l’exemple de trois soldats suite à l’échec d’une offensive-suicide.

C’est dans Les sentiers de la gloire que Kubrick perfectionne la technique du travelling arrière dans les tranchées et entre les rangées de soldats [2]. La scène de l’offensive française est un modèle du genre, que reprendra Steven Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan : caméra très près du sol qui accompagne l’avancée des soldats, vacarme des déflagrations et des explosions d’obus, corps qui s’effondrent dans les trous remplis d’eau, chaos généralisé.

C’est un paysage de cauchemar, une vision de l’enfer sur la Terre comme l’ont rendue les romans antimilitaristes, une course au suicide complètement vaine alors qu’à l’arrière, un général pousse la bassesse à ordonner à ses troupes de canonner leurs camarades, histoire de leur faire passer l’envie de rebrousser chemin. Ces séquences extrêmement violentes laissent soudain place à des scènes beaucoup plus calmes, où la violence n’est plus exhibée mais latente. Elle s’exprime dans les échanges verbaux entre les gradés, ou dans les plaidoieries du conseil de guerre.

Kubrick pousse très loin l’insoutenable avec l’exécution finale des trois soldats, l’un d’eux, blessé, étant ligoté avec son brancard sur le poteau. Full Metal Jacket, qu’il tournera trente ans plus tard sur la guerre du Vietnam, perdra en force du propos ce qu’il gagnera en ambiguité des personnages. Même s’il s’est toujours défendu de tout propos antimilitariste, Kubrick réussit là un très grand film humaniste, servi par une mise en scène millimétrée et un très grand Kirk Douglas.


Les Sentiers de la gloire 2/6

[1Pour une analyse détaillée de film, voir le livre de Michel Chion, Stanley Kubrick, l’humain ni plus ni moins

[2Terry Gilliam avouera avoir été frappé par ces scènes, auquel il rendra un discret hommage dans L’armée des douze singes