Trois ans après le très bon Kiki de Montparnasse, le scénariste José-Louis Bocquet et la dessinatrice Catel Muller ont publié un Olympe de Gouges consacré à l’une des plus importantes figures du féminisme et de la Révolution française.
Cette fois encore, c’est l’occasion, par le biais du roman graphique (400 pages, plus 80 d’annexes avec chronologie détaillée, biographie des principaux personnages et bibliographie exhaustive), de plonger le lecteur au cœur d’une époque (Montauban et Paris du siècle des Lumières et la Révolution) en suivant une trajectoire individuelle marquée par des rencontres décisives avec des grands personnages (Rousseau, Louis-Sébastien Mercier, Voltaire, Mirabeau, Condorcet, Benjamin Franklin…).
A partir d’une documentation pléthorique et d’une recherche minutieuse, Catel et Bocquet exhument donc une figure oubliée par l’Histoire, et pour cause : les historiens ayant pignon sur rue n’ont que peu de goût pour des destinées aussi atypiques et complexes que celles de Kiki de Montparnasse dans les années Folles ou d’Olympe de Gouges avant et pendant la Révolution.
Ces femmes émancipées, libres, fortes de caractères et en avance sur leur temps ont pourtant beaucoup à nous apprendre, y compris dans leur fin tragique. Mariée à 17 ans, veuve à 18, Olympe a mené sa vie comme elle l’entendait. Une vie courte (elle est exécutée en novembre 1793 à 45 ans) mais bien remplie, aussi bien par ses écrits (des pièces de théâtre et des textes politiques) que par ses rencontres et ses amitiés.
Le plus grand coup d’éclat d’Olympe restera évidemment sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (14 septembre 1791), que Catel et Bocquet reproduisent in extenso en pages 332 et 333. C’est un texte fulgurant, riche de formules cinglantes [1] :
La femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits.
La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune.
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler cette vérité.
La constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction.
Mais avant de s’intéresser aux droits des femmes, Olympe s’était penchée sur le sort des Noirs. Sa rencontre avec le chevalier de Saint-Georges, métis et professeur de clavecin de Marie-Antoinette, sera décisive, tout comme celle avec Condorcet. Elle écrit une pièce anti-esclavagiste, Zamor et Mirza ou l’heureux naufrage, et fréquente à partir de 1788 la Société des Amis des Noirs créée par Brissot et où elle croise Benjamin Franklin, l’Abbé Grégoire, Mirabeau ou La Fayette.
Pendant la Révolution, elle est d’abord royaliste (tout en se réclamant fervente patriote) puis, une fois la République proclamée, attaque sans répit Marat, qu’elle déteste, et Robespierre, en qui elle voit très tôt un tyran. Avec une belle inconscience, ou un courage extraordinaire, elle attaque l’Incorruptible :
Dis-moi, Maximilien,
Pourquoi as-tu tonné à l’Assemblée contre les philosophes à qui nous devons la destruction des tyrans ?
C’est quand le récit aborde les rivages brûlants de la Révolution, dans le dernier tiers du livre, que l’histoire s’emballe, que l’on mesure le poids des mots qu’Olympe fait placarder sur les murs même emprisonnée, comme si sa pensée restait à jamais libre. Ces cent dernières pages se lisent d’une traite même si l’issue, fatale, est déjà connue. C’est tout le mérite de Catel et Bocquet d’avoir traduit la puissance de l’œuvre d’Olympe, qui inspirera encore les féministes de notre siècle où il reste tant à faire.