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Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce

Face à l’effondrement qui approche, différentes attitudes sont possibles : le déni, la peur, l’individualisme, le cynisme... Corinne Morel Darleux s’appuie plutôt sur ses lectures et son expérience de militante pour tracer une autre voie.

Il est des voix qui portent loin sans avoir besoin de crier. Comme un murmure dans la nuit ou un souffle d’air dans la chaleur écrasante d’un après-midi d’été. Celle de Corinne Morel Darleux en fait partie. La clarté de son écriture, la sincérité de ses propos, la radicalité de son parcours : tout invite à faire un pas de côté et à réfléchir autrement à l’effondrement à venir.

En un peu moins de cent pages denses et ardentes d’un amour inquiet du vivant, elle partage à la fois ce qu’elle perçoit de la fin inévitable du monde dans lequel on vit (et c’est désormais une question d’années, même pas de décennie) et ce que lui ont apporté ses lectures.

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Deux reviennent inlassablement, comme la houle glissant sur la roche : La grande route de Bernard Moitessier et Les racines du ciel de Romain Gary. Le premier est un navigateur qui, en 1969 alors qu’il était en tête de la première course autour du monde en solitaire, a décidé de ne pas rentrer et de prendre la tangente vers Tahiti. Le roman du second raconte l’histoire d’un homme qui s’est mis en tête de faire cesser le massacre des éléphants.

Pourquoi ces références ? Parce qu’elles viennent illustrer, avec beaucoup d’élégance, deux principes essentiels pour Corinne Morel Darleux : le refus de parvenir et la dignité du présent.

« Peu importe la forme que prend votre pas de côté, en fin de compte : pourvu qu’il comporte une intention et le principe immanent de cesser de nuire. A soi, aux autres, à la tenue du monde. »

Et puis il y a les lucioles. Enfin, il y avait, car elles aussi disparaissent. Corinne Morel Darleux parle d’un article d’Emilien Bernard publié en 2015 sur le site Article 11 [1], où il est question de Pasolini et des lucioles. Ces lucioles, comme les éléphants de Romain Gary, sont à la fois réalité et métaphores : de minuscules lueurs dans la nuit. Comme l’humanité [2].

Mais le pessimisme n’empêche pas d’être lucide : la défaite n’est pas consommée. Il existe des brèches, des interstices, comme la ville de Die par exemple où à une échelle microscopique (4500 habitants) se construisent des alternatives et s’élaborent des luttes. Die, où la maternité a fermé fin 2017 [3], par une volonté étatique saccageuse de ne laisser aucune chance à l’avenir.

« Ce dont nous avons besoin n’est pas de former un continent, mais d’archipéliser les îlots de résistance. Nous avons besoin d’îlots organisés et unis par une stratégie et un but commun. »

Loin d’être une pierre de plus à l’édifice de la collapsologie, le livre de Corinne Morel Darleux est une invitation à poser les bases d’un nouveau rapport au monde, à construire ensemble une société plus souple et plus robuste, capable de s’adapter aux changements et d’encaisser les chocs. Et donc, pour renverser le titre, de flotter en beauté plutôt que couler sans grâce.

[1Des lueurs, des malgré nous, 16 novembre 2015.

[2Voir le blog de Corinne Morel Darleux, intitulé Revoir les lucioles

[3Lire l’article du 11 mars 2019, En marche : ici nous on vit, nous on crève.