Quand Shakespeare croise Shéhérazade

Vendetta de Roger Jon Ellory - éditions Sonatine

, par Bruno

Troisième roman d’Ellory, Vendetta est une brillante spirale qui entrecroise les récits entre la découverte d’un meurtre horrible et son dénouement. Cinquante ans de Mafia y sont racontées par la voix d’Ernesto Perez, tueur cubain pris de remords tentant de racheter ses crimes par un ultime coup d’éclat.

Le décor ? la Nouvelle-Orléans juste avant le cataclysme. L’action de Vendetta ne se passe pas en 2006, comme indiqué par erreur sur la quatrième de couverture, mais en 2003. L’intervalle n’est pas anodin en Louisiane, puisqu’entre les deux dates, il y a eu le 29 août 2005 et l’ouragan Katrina, qui a dévasté la ville et fait plus de 1800 morts. Ce que décrit Ellory pour l’essentiel n’existe plus.


Ce monde englouti est aussi celui de la Mafia italienne contrôlée par des familles venues de Gênes ou de la Sicile. Désormais ce sont plutôt les Russes ou les Tchétchènes qui ont la main sur le crime organisé. Et les schémas anciens, ceux dans lesquels Ernesto Perez a tout d’abord survécu puis exercé ses talents, volent désormais en éclats.

La structure de Vendetta rappelle beaucoup celle de Shéhérazade, qui avait imaginé, dans les Mille et une nuits, de raconter une histoire en s’interrompant chaque matin pour sauver sa vie face au roi de Perse. Le roman entrecroise ainsi une multitude d’histoires, celles racontées jour après jour par Ernesto Perez, tueur à gages de Cosa Nostra, à l’inspecteur Ray Hartmann (dont on entrevoit aussi des fragments de la propre vie familale réduite en miettes), et autour d’eux, un crime barbare (la victime a eu le cœur découpé et replacé dans la cage thoracique) et l’enlèvement de la fille du sénateur de la Louisiane.

Il est aussi question de Shakespeare, avec le pouvoir, la famille, la trahison et l’honneur, mais de façon plus inattendue par les amours impossibles entre Roméo et Juliette. On n’en dira pas plus de peur de dévoiler la clé de l’intrigue. Ce qui fait la richesse du roman d’Ellory, c’est le soin qu’il prend à complexifier les motivations des personnages. Ernesto Perez est certainement un criminel capable de tuer n’importe qui froidement, juste parce qu’on le lui a demandé. Mais pour autant, et à sa manière, il est attaché à des valeurs de fidélité, d’honneur et de respect des engagements pris. Certainement beaucoup plus que le politicien de père à qui il a enlevé la fille.

La relation qu’il noue avec Hartmann est à ce titre passionnante. L’inspecteur est au début dégoûté, effrayé par ce qu’il entend, puis peu à peu il est bien obligé d’admettre que ce que dit Perez le touche et l’interroge. Tout comme son interlocuteur, il est pris dans un labyrinthe duquel il n’arrive plus à sortir (il n’a que quelques jours pour tenter de sauver son mariage et de revoir sa fille), au point qu’il en arrive même (et nous avec) à douter qu’il existe une issue.

Dans Les Anonymes, Ellory décrivait la CIA comme une sorte d’état dans l’Etat, un monstre incontrôlable n’obéissant qu’à ses propres règles, disposant des vies humaines comme d’une quantité négligeable et capable, au nom de la lutte contre le communisme, d’engager le gouvernement dans des opérations criminelles.

Vendetta en fait de même en prenant comme sujet d’études la mafia américaine. D’Al Capone à Sam Giancana, Lucky Luciano et Santo Trafficante, de Las Vegas à La Havane en passant par la Nouvelle-Orléans, Chicago et New York, les familles tirent les ficelles des petits trafics et des grands contrats. Ceux mis sur la tête de John et de Robert Kennedy ou de Jimmy Hoffa, entre autres. Et là encore, la petite histoire s’entremêle avec la grande pour notre plus grand plaisir.