On avait laissé Victor Hugo sur un quai de gare à Quiévrain, Belgique, le 12 décembre 1851, fuyant le coup d’Etat napoléonien pour un exil à durée indéterminée (Lire Victor Hugo, avant l’exil). Dans le deuxième tome de la biographie de Jean-Marc Hovasse (un deuxième tome annoncé pour 2002 et finalement paru en 2008), on suit l’auteur de Notre-Dame de Paris dans son séjour provisoire à Bruxelles, puis à Jersey (où il règle ses comptes avec Louis-Napoléon Bonaparte via les Châtiments et Napoléon le Petit), et enfin à Guernesey, où il s’attelle aux gros morceaux que sont les Contemplations, la première partie de la Légende des siècles, et bien sûr les Misérables.
Raconter la genèse de ce qui fut un énorme succès d’édition, vendu dans le monde entier et qui assura à Victor Hugo une gloire éternelle (c’est le premier titre qui vient à l’esprit quant on évoque l’écrivain) n’était pas une mince affaire. Hovasse nous détaille les sombres batailles d’éditeurs (français et belges) surenchérissant l’avance octroyée à l’auteur (240 000 francs de l’époque, l’équivalent de trois millions d’euros) et négociant sur le format des livres, le nombre de volumes et bien entendu le moment propice pour les publier (au printemps 1862).
Dépassé par son projet, Jean-Marc Hovasse a dû non seulement envisager trois tomes au lieu de deux, mais n’a pu faire entrer dans le deuxième la totalité des années d’exil (1852-1870). Pendant l’exil occupera l’ensemble du deuxième tome (jusqu’en 1864 et la parution de William Shakespeare) et une partie du troisième tome, qui ira (en principe, car on ne saurait jurer de rien) jusqu’au terme de la vie de Victor Hugo, en 1885. Rien que le tome 2 représente 925 pages de texte et pas moins de 300 pages de notes, si détaillées qu’elles constituent un livre dans le livre.
La densité extraordinaire de ces treize premières annnées hors de France valait bien cela. Comme dans le premier tome, Hovasse mélange avec bonheur éléments biographiques purs (les déménagements successifs et l’aménagement délirant d’Hauteville House) [1], récit de la construction d’une œuvre littéraire (et de ses déboires avec ses éditeurs), mais aussi l’arrière-plan historico-politique, avec le règne de Victoria en Angleterre (dont Victor Hugo devient sujet en achetant Hauteville House), le durcissement des lois sécuritaires en France après la tentative d’assassinat contre Napoléon III en 1858 et les deux hobbies à la mode : les tables tournantes et les débuts de la photographie.
Si la seconde innovation n’aura pas de répercussion dans l’œuvre de Hugo, les tables tournantes nourriront le mysticisme de l’écrivain, qui affirmera entrer en contact avec l’esprit des grands maîtres de la littérature et des arts, sans même parler de sa propre fille Léopoldine, morte noyée en 1843. Ce n’est sans doute pas la partie la plus passionnante de la personnalité de Victor Hugo, c’est d’ailleurs ce qui l’éloignera d’une partie des proscrits (généralement athées) et des opposants à l’empire. On retiendra plutôt son engagement permanent contre la peine de mort et sa mobilisation pour sauver l’antiesclavagiste américain John Brown ou ses contacts avec le révolutionnaire Garibaldi (à qui il donnera de l’argent pour acheter des armes).
L’exil aura aussi été l’occasion pour Victor Hugo de s’entourer de ses enfants, François-Victor qui traduit Shakespeare en français, Charles et Adèle, mais aussi son épouse et sa maîtresse Juliette Drouet, logée dans une maison voisine d’Hauteville House. Tout tourne autour de lui, pour le meilleur et pour le pire. Adèle fera les frais de cette organisation clanique en s’enfuyant à Halifax, puis à la Barbade, à la recherche de son amant anglais [2]. De ce départ (en 1863) date le début de la fin de la vie de famille de Victor Hugo, puisque bientôt son épouse Adèle décèdera (en 1868), peu de temps avant ses fils Charles (en 1871) et François-Victor (en 1873). Adèle reviendra quant à elle de la Barbade pour être enfermée en hôpital psychatrique. Mais de tout ça, ainsi que de Quatrevingt-treize, Histoire d’un crime, L’année terrible, l’Art d’être grand-père, il sera question dans le troisième tome, annoncé d’ici au bicentenaire de Waterloo, soit 2015.