Cataclysmes, une histoire environnementale de l’humanité

Un essai de Laurent Testot, éditions Payot

C’est sans doute le livre le plus stimulant de l’année. Brossant l’évolution de l’humanité et ses interactions avec le climat et les écosystèmes, Laurent Testot utilise avec bonheur tous les outils de l’histoire globale.

L’histoire globale a l’immense mérite d’ouvrir en grand la focale, aussi bien dans le temps et dans l’espace. Elle brasse différentes disciplines et accorde autant d’importance aux techniques qu’aux sociétés humaines, privilégie le temps long sur l’événement ponctuel, déplace l’échelle au niveau planétaire et décentre le regard [1].

A tout ça, le journaliste Laurent Testot ajoute une dimension essentielle et pourtant souvent ignorée : l’histoire humaine ne s’est pas faite en laboratoire. Elle est née sur Terre et elle est le produit d’un écosystème indispensable à sa survie. Et depuis plus d’un million d’années, de la Révolution agricole aux nanotechnologies, les deux interagissent en permanence.

En clair, Singe a changé la planète, et la planète a changé Singe. Singe, c’est le nom que Laurent Testot donne aux humains en général, en référence au terme de Desmond Morris, Le singe nu. D’une certaine façon, dit-il, la révolution agricole au Néolithique a amorcé le changement climatique.

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Leçon d’humilité. Il y a 70 000 ans environ, il ne restait plus que quelques milliers d’humains sur Terre. Ce qui d’ailleurs rappelle le début de 2001 : l’odyssée de l’Espace. Singe a survécu, et comme dans le film de Stanley Kubrick, il s’est distingué des autres animaux en devenant un hyperprédateur (aussi bien vis-à-vis des autres espèces que de la sienne, d’ailleurs).

Cataclysmes nous apprend aussi que l’évolution de la taille des humains n’est pas linéaire, comme on pourrait le croire : elle dépend étroitement des conditions de vie. Des squelettes d’hommes de Cro-Magnon datant de 40 000 ans mesurent en moyenne 1,83 mètre, soit plus que la taille moyenne des hommes aujourd’hui. En règle générale, les chasseurs-cueilleurs étaient plus grands que les agriculteurs. En cause essentiellement : l’alimentation et le travail des enfants.

Une civilisation s’effondre à cause des choix qu’elle fait

Autre leçon précieuse, à retenir : ce n’est pas directement le climat qui provoque l’effondrement d’une civilisation, mais les choix que fait cette dernière pour s’adapter à un environnement changeant. L’exemple de l’âge du Bronze est éclairant. Vers - 1200, six grands empires s’effondrent comme des châteaux de cartes. Au départ, un refroidissement important touche l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient actuel, engendrant hivers froids, sécheresses, famines, guerres civiles.

Ça vous rappelle quelque chose ? C’est le même engrenage fatal qui a entraîné la Syrie dans le chaos depuis 2011. Surtout qu’à la fin de l’âge du Bronze arrive le fer, qui permet de fabriquer à moindre coût des armes performantes en abondance. « La guerre devient accessible à de nombreuses petites communautés sans grands moyens logistiques : elle se démocratise. » [2]

L’histoire globale est ainsi riche de parallèles inattendus avec notre présent. Ainsi, en 1420, un humaniste italien découvre un manuscrit ancien datant de l’époque de Pompée et exposant les principes de l’épicurisme.

« Jugez-en par vous-même, et rappelez-vous que ces idées ont plus de deux millénaires : l’univers n’a pas de créateur et il est infini, de même que le temps ; la vie est gouvernée par le hasard ; le propre des êtres vivants est d’être doté de libre arbitre, et leur nature fait qu’ils sont issus d’une évolution aléatoire ; l’humanité est transitoire, elle disparaîtra un jour [...] le monde est fait d’atomes, particules élémentaires invisibles, éternelles et insécables ; la matière est éternelle, mais ses formes sont transitoires, ses composants connaissant un cycle de désagrégation-reconstitution... »  [3]

Que ce serait-il passé si cette pensée s’était imposée il y a vingt-deux siècles ? Le cours de l’histoire humaine en aurait été radicalement changé.

Quand la Chine était l’atelier du monde... il y a mille ans

La non-linéarité de l’histoire tendant vers un progrès continu de l’humanité est aussi battue en brèche du côté des inventions techniques : Ainsi, au XIè siècle, l’économie chinoise, qui regroupe un humain sur trois, tourne à plein régime : les billets de banque sont couramment utilisés (ils servent notamment à collecter l’impôt) et les hauts-fourneaux permettent de produire la fonte et l’acier, sept cents ans avant le début de la Révolution occidentale... « La Chine est (déjà) l’atelier du Monde ». [4]

Mais, déjà, cette surchauffe de l’économie provoque des dégâts environnementaux considérables. Les besoins en bois provoque une déforestation massive, les crues des grands fleuves se multiplient, les populations paysannes fuient, les invasions venues du Nord commencent et l’empire s’effondre. Gengis Khan, autoproclamé « la colère de Dieu », ne va pas tarder à ravager l’Asie et une partie de l’Europe.

Voilà une des leçons éclairantes (et glaçantes) de Cataclysmes : l’équilibre entre Singe et son milieu est fragile et instable, et les crises peuvent rebattre les cartes à tout moment [5]. Alors que l’emballement climatique a commencé, provoqué par l’Anthropocène, nul ne peut garantir que la fin de ce siècle ne sera pas marquée par des catastrophes de grande ampleur.

Le capitalisme mène la guerre au vivant

La dimension éminemment politique du propos de Laurent Testot n’est pas la moindre qualité de son livre. A quelques pages de la fin, parlant des données climatiques affolantes de l’année 2016, il affirme ainsi : « Notre économie est en guerre contre la vie sur Terre. Le moteur de la compétition ne brûle qu’un carburant : le conflit. » Et, un peu plus loin : « Singe a confié la gestion de la planète au hasard de l’esprit du gain. » [6]

Dans l’article « Mutations du récit historique » de son blog Histoire globale, Laurent Testot évoque Serge Gruzinski : « Pour lui, l’histoire connectée rebranche « les câbles que les histoires nationales ont arraché », leur insuffle une énergie nouvelle. » On ne saurait mieux dire.


 

Notes

[1Lire l’article consacré au livre L’année sans été de Gillen d’Arcy Wood.

[2Laurent Testot, Cataclysmes, p 114

[3Laurent Testot, Cataclysmes, p 139

[4Laurent Testot, Cataclysmes, p 185

[5Lire l’essai de Jared Diamond, Effondrement.

[6Laurent Testot, Cataclysmes, p 419